Écrivain français (1925-1971) dont l'œuvre est marquée par le mysticisme, l'aventure et un engagement proche de la folie

François Augiéras, une porte sur l'Absolu

A l'occasion de la parution de François Augiéras, le dernier primitif, rencontre avec Serge Sanchez, auteur de cette remarquable biographie

— François Augiéras est un auteur qu'on redécouvre tous les dix ans. Mais jusqu'à présent il n'y avait pas de biographie « grand public » et pas grand chose en dehors de rares travaux universitaires. Pensez-vous que votre François Augiéras, le dernier primitif va changer cela ?

Serge Sanchez. Il ne faut pas oublier de saluer les efforts de Jean Chalon et Paul Placet. C'est grâce à eux que la mémoire d'Augiéras a été conservée jusqu'ici. Il faut en particulier rendre hommage au livre de Paul Placet, François Augiéras, Un barbare en occident, aujourd’hui réédité par La Différence.
Je n’aime pas le terme « grand public » accolé à mon livre. Il n’y a que deux sortes de livres, les bons et les mauvais. Stevenson, Balzac, Giono, Dickens… Des auteurs « grand public », en effet. On pourrait en citer mille. Les écrivains importants ont ceci de commun qu’ils peuvent être lus par tout le monde. Cela dit, et en toute modestie, je pense en effet que mon livre a permis de faire mieux connaître François Augiéras. Mes efforts ont été relayés par mon éditeur, Manuel Carcassonne, chez Grasset, qui a fait preuve d’une compétence et d’un enthousiasme sans faille pour éditer ce livre. Le résultat, c’est qu’Augiéras est sorti du ghetto, qu’il est délivré de l’étiquette d’auteur maudit comme le montrent les nombreux articles parus dans la presse ainsi que la présence du Dernier Primitif dans la sélection de printemps du Prix Renaudot, catégorie essais. C’était le principal but visé.

— Par « grand public » j’entendais « pas universitaire ». Et même si elle trouve son lectorat mérité, l’œuvre d’Augiéras reste difficile d’accès, par son exigence même. En cela, très loin au dessus des Marc Lévy et consorts, il n’est pas un auteur « grand public ». D’ailleurs, et c’est un vieux débat, certains textes de Balzac (Louis Lambert par exemple, et les romans inspirés par Swedenborg) sont très difficiles d’accès… En ce sens, il faut rapprocher François Augiéras de Victor Segalen, lequel, même s’il a une université à son nom et un « passé » d’auteur au programme universitaire, reste largement méconnu en dehors des fervents.

Serge Sanchez. Je vous laisse la responsabilité de ces remarques. Je ne connais pas Marc Lévy. Je ne trouve pas Balzac si difficile, en revanche ce que vous dites de Segalen me semble juste. En tout état de cause, je pense que l’accès à la pensée demande toujours un effort et que la qualité du lecteur joue autant que celle de l’écrivain, quel que soit le texte.

— Votre biographie ne fait pas référence aux précédents travaux sur Augiéras. Pourquoi ce choix du silence ?

Serge Sanchez. Il me semble avoir cité toutes mes sources. Les travaux intéressants ont été mentionnés scrupuleusement, que ce soit les écrits de Paul Placet ou les articles publiés à l’Île Verte ou au Temps qu’il fait.

— Sauf erreur de ma part et sans vouloir chercher la petite bête, vous ne mentionnez pas les travaux comme le François Augiéras, l’apprenti sorcier de Philippe Berthier (Champ Vallon, 1992) ou l’essai plus suggestif de Joël Vernet François Augiéras : L'aventurier radical (Jean-Michel Place, 2004) On ne peut pas tout lire, certes, mais Augiéras n’est pas Sartre et la bibliographie est succincte… Ces travaux ne sont pas intéressants ?

Serge Sanchez. Ces travaux sont intéressants et sensibles. Je les ai lus, mais ne m’y suis pas référé dans le cadre de la biographie, qui n’est pas une analyse mais le récit d’une vie. Voilà pourquoi je ne les ai pas mentionnés. Cela dit, j’en recommande la lecture qui peut donner un éclairage intéressant sur l’œuvre.

— Vous parliez de Paul Placet, l’ami et co-auteur de la Chasse fantastique. Dans quelle mesure Augiéras avait-il besoin de cette fidélité magnifique pour porter son œuvre ?

Serge Sanchez. Augiéras vivait très isolé, mais il avait aussi besoin de contacts. Paul Placet se montra pour lui l’ami idéal. Après sa disparition, il a organisé des expositions importantes de ses peintures, manuscrit, etc. Il a travaillé inlassablement à faire connaître son œuvre. Signalons l’exposition Augiéras qui se tient à Cahors du 15 juin à fin juillet. C’est encore grâce à lui.
 
— J’ai rencontré Augiéras par hasard. Un professeur m’a tendu son exemplaire défraîchi du Voyage au mont Athos en me disant que j’allais m’y retrouver, ce qui fut, et je n’ai plus quitté son œuvre. Comment la rencontre s’est passée avec vous ?

Serge Sanchez. Jean-Jacques Brochier, qui dirigea longtemps le Magazine littéraire tenait l’œuvre d’Augiéras en très haute estime. C’est grâce à lui que ma connaissance de cet auteur s’est approfondie. Il m’a demandé d’écrire plusieurs articles sur Augiéras pour le Magazine. Je ne connaissais alors que le Vieillard et l’Enfant ainsi qu’Une adolescence au temps du Maréchal. Ensuite, les choses ont suivi leur cours. Ma connaissance d’Augiéras s’est faite progressivement. Je retrouvais dans ses livres des paysages que je connais bien : la Grèce, l’Afrique du Nord, la Dordogne… Cela a créé un rapprochement supplémentaire.

— Ce rapprochement fait, vous restez en sa compagnie ou vous passez à « autre chose » ?

Serge Sanchez. Les deux. J’écris actuellement un livre sur les chasseurs de têtes de Nouvelle-Guinée, à paraître chez Payot. Encore des primitifs ! Ce livre se nourrit de mes travaux antérieurs. Il n’y a pas de rupture.

— Une œuvre comme la sienne ne souffrirait-elle pas d’être par trop connue ? N’est-elle pas de ces petits secrets qui se transmettent et qui font le sel de la littérature ?

Serge Sanchez. Je ne vois pas en quoi la notoriété pourrait nuire à un auteur. Augiéras mérite plus d’audience qu’il n’en a eu jusque-là et lui-même pensait que son œuvre serait reconnue après sa disparition. Et puis, rien n’empêche que chacun ait sa propre lecture. Tout rapport à l’art est un rapport intime, quelle que soit la célébrité de l’artiste. Les grandes idées, la beauté… tout le monde y est réceptif. Il n’y a pas de grand art sans générosité, sans don total de soi-même.

— On en revient à la question de la littérature galvaudée… le secret n’est pas nuisible, par exemple, Rimbaud, le nom est fameux, certains poèmes très connus, mais beaucoup encore n’en peuvent citer un seul vers. C’est une littérature de gourmet et pas de buffet.

Serge Sanchez. Rien n’empêche de s’y précipiter. Je ne fais pas ces distinctions. Disons que c’est une littérature de gourmet si vous voulez…mais accessible à tous. Question de volonté.

— Augiéras fonde son œuvre sur son expérience quasi mystique de la vie. C’est le premier auteur d’autofiction ?

Serge Sanchez. Il y en eut d’autres avant lui, même si, vous avez raison, c’est une de ses caractéristiques. Tout auteur recrée la réalité qui l’entoure. Il est la matière de ses propres créations. C’est le résultat d’une chimie mystérieuse qui fait intervenir à la fois l’égocentrisme et la dilution de soi dans le domaine des idées. Je ne crois pas en une vérité universelle. Un artiste est obligatoirement « visionnaire ».

— Augiéras, primitif ? Dans quel sens ? Primordial ? Il n’est d’aucun temps réel, ses écrits nous le montrent engagé dans le temps mythique, voire mythologique. Comment le monde a-t-il pu, en plein XXe siècle, enfanter un sauvage magnifique ?

Serge Sanchez. Augiéras était un grand instinctif, en particulier dans son rapport à la nature. Il s’identifiait aux éléments, aux arbres, aux animaux… Comme les primitifs. Il était aussi très séduit par l’art des anciennes civilisations, comme l’Égypte pharaonique, ou des peuplades d’Océanie, qu’il avait découverts à travers la lecture de Malraux. Pourquoi un sauvage ? Pour plusieurs raison, mais d’abord par rejet d’une civilisation occidentale matérialiste qui ne lui convenait guère et dont le moins qu’on puisse dire aujourd’hui, sans être pessimiste, c’est qu’elle court vers sa propre perte avec un acharnement et une vanité qui n’eut jamais d’exemple par le passé.

— L’expérience du mysticisme, de la quête initiatique marque son œuvre et sa vie même. Un tel parcours est-il encore possible de nos jours ?

Serge Sanchez. Toute vie est un parcours initiatique, autrement dit un apprentissage incessant. C’est la grandeur de l’homme et sa malédiction d’être tourmenté par des questions dont les réponses lui restent cachées. Il n’y a pas d’époque pour cela. La seule différence, c’est qu’aujourd’hui le monde occidental est devenu si obsédé de mercantilisme que les repères importants se sont perdus. L’Église catholique elle-même a bradé les symboles dont elle se nourrissait pour entrer de plain-pied dans la société du spectacle. Il convient à chacun de recréer individuellement son monde intérieur, d’opérer sa métamorphose. La lecture d’Augiéras, mais pas seulement celle-ci bien sûr, peut y aider. Un de ses qualités, c’est de mettre en résonance l’âme et le monde, comme deux instruments bien accordés.

— Il y a quand même une différence notable entre toute vie et celle d’Augiéras, voire celle des romans d’apprentissage comme L’Education sentimentale de Flaubert ou Wilhem Meister de Goethe. Son expérience est assez exceptionnelle, et d’autant plus qu’il a eu le génie littéraire pour la restituer.

Serge Sanchez. Bien sûr. Mais précisons à nouveau que sous une apparence de fiction les livres d’Augiéras parlent de son expérience vécue. Son œuvre est une fresque spirituelle qui prend racine dans sa vie même. On est loin des études psychologiques du siècle passé.

— En quoi, à vos yeux, Augiéras est-il essentiellement magique ?

Serge Sanchez. Augiéras pensait que la vie avait un sens. Il s’est offert corps et âme à son propre destin. La vie est un pari sur l’absolu, ce n’est pas le marathon social dans lequel on nous pousse aujourd’hui. Elle tient compte d’autres valeurs, qui doivent continuer à faire notre fierté. Si le mysticisme à outrance, l’intégrisme spirituel qui ouvre la porte à toutes les tyrannies sont illusoires, le matérialisme est l’imposture la plus néfaste qu’ait connue la civilisation. Sagesse, patience, conscience de sa propre vanité sont indispensables pour avancer… Mais il faut aussi savoir préserver en soi un don d’émerveillement quasi enfantin pour découvrir la magie du monde.

Que peut nous dire, aujourd’hui, une œuvre comme la sienne ?

Serge Sanchez. Je crois que l’œuvre d’Augiéras prend toute son importance aujourd’hui. Comme je l’ai dit précédemment, elle ouvre une porte sur l’absolu. Elle a le don de changer la vie en nous ramenant à des valeurs essentielles. Sa noblesse, c’est le dépouillement.

— Par quelle œuvre recommanderiez-vous la découverte d’Augiéras ?

Serge Sanchez. J’aime beaucoup Domme ou l’Essai d’Occupation. Mais chaque livre d’Augiéras dévoile une facette de cet étrange personnage. Certains préféreront le Vieillard et l’Enfant. Laissons en ce domaine agir le hasard… ou la magie.



Propos recueillis par Loïc Di Stefano
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