Françoise Sagan : Les 60 ans de Bonjour tristesse

Françoise Sagan chez elle à Paris 25 rue d’Alésia, en 1980. Photo inédite prise par Annick Geille (Collection personnelle © Annick Geille) 

 

 

Les éditions Stock publient en mai certains ouvrages de Sagan, plus deux livres à propos de Sagan, en hommage aux soixante ans de Bonjour Tristesse. A cette occasion, Annick Geille – auteur de Un amour de Sagan Fayard, qui fut une proche de la romancière – reproduit pour les lecteurs de « la Sélection », l’article publié dans Sud-Ouest par l’écrivain et critique Olivier Mony, spécialiste du fameux « petit monstre »…

 
Sagan, c’est notre histoire
 

 

De ces dates, elle n’aurait rien voulu savoir. Françoise Sagan était fâchée avec les chiffres, pas au mieux avec le temps qui passe. Qui passe tant et si bien que voilà où on en est, à la fin des haricots, à devoir célébrer le dixième anniversaire de sa disparition, le soixantième de son apparition, prodigieuse, lorsque le 15 mai 1954, le roman d’une jeune fille insolente des beaux quartiers ouvrit grande les fenêtres de la maison France de messieurs Coty et consorts, qui sentait un peu le renfermé. Une star était née. Un écrivain aussi, même si ce fut plus difficile à faire admettre. Et comme toujours en pareil cas, un malentendu, puisque ces temps annonciateurs de la société du spectacle se donnaient pour petite reine une femme réticente à en goûter le vacarme.

 

 

Ce malentendu persiste. Sagan, après avoir connu de son vivant le purgatoire, de rééditions en films et en biographies est fêtée comme jamais. Mais de cette fête qui sonne comme l’aveu d’un remords (hommage de la vertu au vice, ou au moins, de la lourdeur à la grâce), le marketing n’est pas toujours absent. Prenons ce Je ne renie rien, recueil d’entretiens menés entre 1954 et 1992 (de Charybde en Scylla, donc…), qui paraît aujourd’hui. Notons d’abord qu’il se présente comme la réédition d’un ouvrage paru sous un autre titre (Un certain regard) il y a moins de six ans. Que le titre en question était lui-même composé de l’adjonction de deux volumes d’entretiens, parus quant à eux du vivant de l’auteur, Réponses et Répliques. Que les dizaines d’entretiens qui se trouvent ici compilés le sont sans précision aucune au risque pas toujours évité de la redondance. Que le lecteur toutefois se rassure, on y entend, bien sûr, la voix de Sagan ; on y retrouve sa vive insolence où l’intelligence a le tact de se grimer en désinvolture, son humour aussi, vachard et désespéré bien plus qu’elle ne l’avoue. Tout de même, rentrée en majesté dans l’histoire littéraire contemporaine, Sagan mérite, sinon mieux, plus. Un appareillage critique digne de ce nom. En fait, Sagan mérite la Pléiade et voilà tout.

 

En attendant ce jour, on se montrera bien plus convaincu par l’hybride, impur, imparfait et intrigant Sagan 1954 d’Anne Berest, hommage pieux et échappée belle. Des nouvelles Sagan, ou annoncées comme telles, il suffit depuis soixante ans de secouer les arbres du Quartier Latin pour en voir tomber des branches (il serait amusant d’ailleurs, d’en dresser une liste exhaustive. Où êtes-vous Michèle Bernstein, Raphaëlle Billetdoux, Caroline Bongrand ?) Anne Berest fait mieux que prétendre au titre. Elle habite son souvenir, se revêt de lui, oscillant en une ballade saoule et mélancolique, de cette année extraordinaire qui la révéla à la face du monde à ces temps d’absence et de ciels gris. L’absence de Françoise et l’absence d’un homme : le père de l’enfant d’Anne Berest. Ces deux histoires sont si élégamment mêlées qu’elles finissent par n’en faire qu’une. Au fond, comme toujours avec Sagan, avec ce qu’elle touche ou inspire, cette histoire, c’est la nôtre, non ?

 

Olivier Mony

 

[Écrivain dont la mélancolie rêveuse parle aux amateurs de littérature, Olivier Mony est l’un de nos meilleurs critique, Prix Hennessy de la chronique littéraire, il collabore – entre autres – à Livres Hebdo, au Figaro-Magazine et à Sud-Ouest (dont il anime les pages « culture »), ainsi qu’au trimestriel Festin.

 

Figure incontournable de la scène littéraire contemporaine, Olivier Mony aime tellement Sagan – et Bernard Frank – qu’il a bien voulu accorder aux lecteurs de la Sélection et du Salon littéraire la primeur de son article sur l’anniversaire de Bonjour Tristesse, publié dans le tout aussi incontournable Sud-Ouest…] 

 

> Lire également l'article d'Annick Geille consacré à Françoise Sagan

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