Frédéric Beigbeder : un barrage contre le temps

En 2000, Frédéric Beigbeder publie 99 francs, un brûlot qui dénonce la pub et la société de consommation. Il est viré de l’entreprise qui l’emploie mais rencontre un immense succès public. En 2003, bouleversé par les attentats de 2001, il écrit Windows on the world, le drame d’un père qui offre le petit-déjeuner à ses deux fils dans le restaurant des tours au matin du 11 septembre. Il reçoit le prix Interallié pour ce roman le plus bouleversant peut-être de son œuvre. En 2008, arrêté et placé en garde à vue avec Simon Liberati pour possession de cocaïne, il tire de son expérience Un roman français qui lui vaut le prix Renaudot. En  2022, paraît Un barrage contre l’Atlantique, écrit pendant le confinement de 2020. Une période durant laquelle, il décida de s’exiler à la pointe du Cap Ferret pour écrire ce qu’il présente comme la suite d’Un roman français

Dans cette cabane du bout du monde,  menacé par la montée des eaux, l’auteur revient sur son enfance, son adolescence, ses succès littéraires, ses échecs, ses rencontres et surtout son intranquillité : Mon paradoxe peut être résumé ainsi : j’ai fui l’embourgeoisement en choisissant une vie d’artiste, critiqué mon milieu d’origine, fréquenté des gauchistes, renié ma famille et mon milieu social, flingué tous mes employeurs (l’agence de publicité, la télévision, la radio) – tout cela pour finir par épouser une genevoise, vivre à la campagne dans le même village que mes grands-parents, fonder une famille là où mes parents se sont mariés et écrire au Figaro.

Au fil de ces pages lumineuses, le lecteur assiste avec Frédéric Beigbeder au passage fulgurant des années qui font que l’on revient à la source.
Il évoque le divorce de ses parents, les douces journées à Verbier dans un chalet qui a été vendu, les belles-mères provisoires qui gémissaient à travers la cloison. Il se remémore aussi une prof de français rousse comme une hétaïre de Baudelaire qui fit étudier à ses cinquièmes, "À celle qui est trop gaie". Aujourd’hui, certains enseignants sont décapités pour moins que cela, note-t-il.
Au sujet de Laura Smet, il affirme : Je suis tombé sur de l’or et j’en ai fait de la boue.

Les années '80, les brunchs avec Mitterrand, la collaboration à Globe en compagnie de Pierre Bergé, BHL, Marek Halter, lui reviennent en boomerang : Ce que j’ai le mieux réussi, c’est à ne jamais être à ma place, affirme le représentant de la jeunesse dorée parmi les intellectuels de gauche.
Et en toile de fond, menace sourde et prégnante, la mer inlassablement avance sur ce morceau de terre du Cap Ferret : Un jour, toutes les belles terrasses en chêne massif sombreront dans la mer dans un silence absolu. Cela s’est déjà produit, en décembre 2000. Contre cette catastrophe annoncée, un homme, Benoît Bartherotte se bat, chaque jour en consolidant une digue pour lutter contre l’inéluctable, métaphore du temps qui court et contre lequel l’homme se bat en vain.

Entre la vie qui passe et l’anéantissement qui menace, le livre de Beigbeder possède  la nostalgie d’une madeleine, la force de l’océan. Du second, il emprunte la forme avec ses phrases en forme de vagues. Déroutant au début, ce procédé colle parfaitement aux souvenirs qui vont et viennent, submergent ou se retirent pour mieux déferler encore plus violents, saturés de tendresse et de mélancolie pour ce qui fut et n’est plus.

Brigit Bontour

Frédéric Beigbeder, Un barrage contre l’Atlantique, Grasset,janvier 2022, 263 p.-, 20 €

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