Novalis : une certaine idée de la poésie & du monde

Parce que notre monde a failli, et que les dés semblent jetés, justement, alors, et de manière irrémédiable, nous devons sans limite nous (r)accrocher à la pensée de Novalis ! Et billevesées que de l’associer à une approche naïve et sentimentale du monde tel qu’il pourrait être : qu’il devrait être, oui ! Que Schiller aille donc prêcher sur une autre planète l’association obligatoire entre candeur et génie, la grâce aussi est fille de la lucidité, et pencher vers le Beau et l’Amour n’est pas un trait féminin comme le soutiennent les grosses brutes tout en testostérones. Bien au contraire, c’est une malédiction en ces temps infâmes de vulgarité célébrée, car c’est un prêche infini d’une quête d’harmonie …

 

Ce n’est que récemment que Novalis est revenu sur le devant de la scène car ses manuscrits,  vendus en 1930 et acquis par la Bibliothèque nationale de Berlin, furent déclarés disparus à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais en 1983, à l’occasion de recherches pour une édition historique, ils furent miraculeusement retrouvés à l’université Jagellon de Cracovie.

 

Novalis a toujours considéré son activité littéraire comme une occupation secondaire (sic), alors qu’il a suivi un cursus universitaire très poussé et s’intéressa à Spinoza, puis découvrit Goethe et fréquenta Fichte dont la pensée l’a profondément marqué, mais il refusa de s’arrêter à ce thème du moi universel : pourquoi se limiter ? Novalis veut écrire. Il a vingt-cinq ans, il veut engloutir le temps…

Néanmoins la direction des Salines de la Saxe semblent une priorité, il lui faudra donc œuvrer sur les deux tableaux, et comme son caractère verse dans l’éclectisme, tout semble l’attirer : les sciences fondamentales, humaines et appliquées.

Novalis est particulièrement difficile à suivre sur le plan politique, pratiquant, lui aussi, l’art de la girouette, étant (trop) souvent en décalage puisque largement au-dessus de la mêlée et d’une certaine réalité. Son génie le place très rapidement hors de la mêlée, et aussi bien son père que ses frères, ne le comprennent pas, à l’exception d’un seul.

 

L’amour de sa vie, Sophie, trop tôt disparue, il songe au suicide mais de longues promenades dans la nuit apaisent son angoisse et le fol envie de mourir disparaît et l’écriture revient : « Les pétales de Sophie se sont dispersés pour se rassembler de manière plus belle dans l’éternel ». Il se sent comme ivre, marchand sur l’eau entre la vie et la mort, épris d’une légèreté toute sérieuse qui le fera voguer vers l’âme des génies venus le visiter… Empreint d’un certain stoïcisme, Novalis ne veut plus opposer le moi et le non-moi, comme le prédit Fichte, car le moi est infini : l’âme du monde extérieur est donc en chacun de nous ! D’ailleurs il s’ouvre à toutes les disciplines et va jusqu’à s’intéresser aux mathématiques dont la magie numérique l’attire, y voit un parallèle avec l’absolu poétique qui permet de saisir la totalité de l’univers, et donc de se rapprocher d’une certaine spiritualité.

 

« Aux dernières années du XVIIIe siècle, Novalis est un des créateurs du romantisme, l’annonciateur de la poétique, de Baudelaire et du symbolisme, et ses vues en mathématiques révèlent une préscience des théories de la relativité… C’est un regard d’enfant où l’audace tire sa toute-puissance de l’ingénuité même, étrangement sauvegardée, un regard de voyant et d’ange […] »

Armel Guerne

 

Novalis va lire, lire et encore lire, dormant que quelques heures par nuit (n’oublions pas qu’il avait un travail normal qui lui prenait presque la totalité de ses journées) : et de ses richesses glanées au fil des livres, il nourrira une ambition démesurée. Il dépassera ses initiateurs. Il écrira le roman-monde absolu dans la langue poétique de la « religion du cosmos visible ». Et il y parviendra avec Henri d’Ofterdingen, roman cependant inachevé.

 

« On dirait que c’est un elfe qui parle, d’une voix étonnamment innocente (a-t-on remarqué les immenses yeux du portrait), touchant d’un pied léger et rapide la terre, et il n’est pas possible de l’arrêter dans son mouvement. »

Philippe Jaccottet

 

Frédéric Brun nous offre ici une biographie d’un autre mode, érudite mais romancée, guidée par l’intemporalité de ses démarches, invitant le lecteur au fil des pages à des digressions contemporaines sur les traces de Novalis. Ainsi, d’un chapitre l’autre, images à l’appui, nous découvrons certains aspects de l’enquête, certains détails du décor disparu ou transformé. Un parti-pris qui rend vivant ce portrait et nous fait marcher dans les pas de celui qui suspendait son imagination entre le songe et la réalité, ce qu’Albert Béguin, dans son essai L’Âme romantique et le rêve, évoque dans l’approche du poète allemand vers sa conscience pour que le monde devienne rêve ; et voyant la limite du projet, comprend que seule la poésie offre de représenter l’irreprésentable. Novalis voit l’invisible, sent l’insensible et donc confirme que le poète est omniscient et possède bien des liens primordiaux avec l’inconscient…

 

François Xavier

 

Frédéric Brun, Novalis et l’âme poétique du monde, Poesis, avril 2015, 224 p. – 19,00 euros

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Ce livre figure sur la liste des finalistes du Prix Femina 2015 de l'essai.