Savoir décrypter l’image : l’œil d’Hermès voit tout !

Depuis L’énigme du Vatican, Frédérick Tristan reste inscrit sur ma petite liste personnelle quand vient le temps de s’informer sur les dernières parutions. Ce diable d’homme a le don de percevoir au-delà du visible et s’ingénie à s’immiscer dans les arcanes du pouvoir que procure une image ; ainsi le voilà derechef dans la pratique de son art : nous dessiller les yeux en nous narrant la petite histoire de la grande histoire, l’officielle qui régente le monde quand ailleurs, dans l’étroit corridor du détail, dans les angles morts si appréciés par Alain Fleischer, somnole le feu divin qui ne demande qu’à être réveillé par le souffle de l’esprit curieux. Faut-il encore s’en donner la peine, s’arracher à l’écran Rétina et courir musées et galeries, bibliothèques et cathédrales…

Frédérick Tristan (dont le site demande une mise à jour d’urgence), est né en 1931, il fut Prix Goncourt 1983 pour Les Égarés, et reçut en 2000 le Grand Prix de Littérature de la SGDL pour l’ensemble de son œuvre, et termina sa carrière comme professeur d’iconologie à l’Institut des Carrières artistiques de Paris (ICART). Reprenant un ouvrage initialement publié en 1982, François-Marie Deyrolle l’a magnifié avec une maquette originale qui s’appuie sur une iconographie riche et précise, jouant de la loupe pour mieux cerner les détails qui jalonnent le récit de Tristan, car, sous le jeu romanesque, se cache un extraordinaire essai sur le sens de la peinture, la signification de chaque objet, pose, inclinaison, décor, lumière, couleur, symbole, etc. employés par tous les grands maîtres depuis des siècles.
D’où l’importance de ce temps long, tout aussi bien dans la lecture de cet ouvrage que de celui que vous prendrez, je l’espère, en retournant au plus vite voir l’original évoqué, que ce soit à Venise ou Rotterdam, Paris, Madrid ou Florence. Oubliez le regard désabusé jeté à la va-vite sur un monochrome ou une peinture abstraite, comme vous en avez trop souvent pris l’habitude, et entrez réellement dans le tableau, posez-vous face à lui, accordez-lui du temps, scrutez chaque centimètre, chaque détail, approchez-vous, éloignez-vous, jouez de la perspective, des angles de vue, tournez autour, contemplez, savourez, jouissez tout votre soûl…

Cela débute donc comme un roman : Pringsham, le narrateur, rend régulièrement visite à John Gilbert Chesterfield, courant l’année 1955, et d’une conversation à bâtons rompus, on glisse lentement vers un cours magistral. Mais la force de Tristan réside dans le tour de force qu’il parvient à dominer son sujet sans tomber dans la pompe universitaire, laissant au lecteur des plages de respiration et portant sa science par la grâce d’un certain humour so british et un style tout en légèreté.

Ainsi il en ira de ce cher Chestefield pour qui toute expression est, de quelque manière, de nature mythique, et l’être humain appelé à dépasser les limites qui sont en lui car là, enfin, il s’agit de la vraie guerre sainte, celle que l’on engage contre soi. Pour cela, aucune contradiction à opposer mais une transformation à opérer. Point de départ, Vénus, qui, avant d’être la lumière vers qui tendre, est bien un puits de ténèbres ; en quittant son ventre nous assistons au dévoilement du monde sans nous en rendre bien compte. C’est pour cela qui faut aller puiser dans l’art les sources d’inspiration à mener ce combat que nous seuls, les Hommes, pouvons conduire car l’homme est le seul animal qui peut changer d’état d’être.

S’ouvre alors un périple qui conduit le lecteur par-delà ses connaissances, car Tristan va puiser dans des œuvres inconnues, oubliées, pour tendre des parallèles avec les œuvres majeures, dans une démarche métaphysique d’ordre initiatique. Son combat contre l’illusion est implacable. De Bosch à Memling, de Brueghel à Titien, Dürer, Velasquez, etc. l’Œuvre devient une aventure intérieure, comme une évidence trop longtemps délaissée.
Qu’importe le flacon, dit l’adage, en effet, d’Aristote à l’Arétin, seul le trajet importe, nous rappelle Tristan : C’est le trajet lui-même qui est la porte de sortie véritable.
En ces temps obscurs où l’on a tendance à nous faire prendre des vessies pour des lanternes, ce bel ouvrage nous repositionne vers le cap initial, unique, indispensable…

François Xavier

Frédérick Tristan, L’Œil d’Hermès – Approches de l’imaginaire pictural, L’Atelier contemporain, + 300 reproductions couleur, 160x200, couverture rigide, juin 2018, 200 p. – 25 €

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