Frédérique Deghelt, Les brumes de l'apparence : Se découvrir enfin soi-même

Quand un notaire de province annonce à Gabrielle, parisienne de quarante ans, qu’elle hérite d’une masure au milieu de nulle part dans l’isolement d’une forêt, elle décide de s’en débarrasser au plus vite. Malgré tout elle s’élance sur les routes pour rejoindre l’inattendu lieu-dit, signer sans état d’âme actes de propriété et autres mandats de mise en vente, pour agir avec autant d’efficacité que de rigueur.

 

Un enchevêtrement d’arbres et de ronces à l’abandon. Là, se trouve blottie depuis des décennies une maison dont une seule pièce demeure à l’abri du ciel, entourée de dix hectares, traversée par le bruissement d’une rivière et luttant avec une nature dévorante. Tel est le territoire inhospitalité que découvre Gabrielle, d’abord insensible à la beauté étrange, voire menaçante des lieux. Bien ancrée dans sa vie plutôt aisée, mariée à un chirurgien esthétique, flanquée d’un fils de dix-huit ans, Gabrielle se passionne pour son travail, croit jouir d’un bonheur rectiligne.

 

Contrainte de passer la nuit sur place, isolée, sans réseau téléphonique, Gabrielle s’endort sans avoir peur. Mais son sommeil est peuplé de rêves, d’odeurs de fleurs blanches et de présences mystérieuses.

 

Comment ne pas être profondément bouleversé par la minceur du sujet d’un côté et par la force et l'énergie qui émanent de cette écriture musicale de l’autre. Le texte fluide et rythmé berce la lecture, entraine l’imagination dans une aventure pleine de surprises. L'histoire amorce une véritable rupture entre ce qui paraît plausible et l'incertain, l’improbable, sans oublier l'art et la manière de dépoussiérer l'inédit, de façon à octroyer au lecteur le choix de continuer ou d’en rester là.

 

Ce qu’elle découvre et finit par décider d’acquérir la bouleverse profondément et l’invite à reconsidérer non seulement les données de sa vie mais encore l’idée factice qu’elle se fait du bonheur.

 

Frédérique Deghelt possède un sens aigu du glissement psychologique, elle procède par touches tant est si bien qu’elle ensorcelle celui ou celle qui entre dans son univers.

 

Seulement, une nouvelle vient bousculer l'existence de Gabrielle, elle reçoit en héritage un terrain plutôt étrange et délicat. Ce qu'elle va découvrir et acquérir va la bouleverser et l'amener à reconsidérer les choses d'une tout autre manière, est-ce une bon ou un mauvais présage ?

 

Avec un talent déconcertant, elle parvient à imposer à son lecteur qu’il se pose une vraie question : par où passe le chemin vers la connaissance réelle de son moi profond ? Ce qui revient à dire, en d’autres termes, pour quelle espèce de bonheur suis-je fait ? Tel qu’en lui-même, l'inconnu affole, déconcerte, ou dans quelques cas excite. Il peut même être considérer comme une instance venue briser la stabilité ordinaire. Face à lui, quelle attitude adopter ? Résister ? S’abandonner en faisant confiance ? Gabrielle passe par toutes ces étapes qui la conduisent à s’interroger sur l’origine de son pseudo bonheur passé. Se retourner n’est pas moins déstabilisant qu’affronter l’inconnu. Elle lutte avec ces vieux démons et s’aperçoit qu’ils l’ont jusque là manipulée et maquiller la réalité. Grace à la surprise de cet héritage, il lui est donné de faire le point. Elle réussit à se dégager du voile des apparences, à se libérer des préjugés pour comprendre enfin une évidence jusque là dissimuler : notre capacité à nous disposer au bonheur dépend de notre manière d’ouvrir les yeux sur le monde et sur soi-même ; de notre aptitude à accueillir l’inattendu et à accepter que notre nature profonde se manifeste par le biais de quelques détails apparemment anodins et qui changent la donne. Il suffit en effet d’un rien pour briser le processus d’enfermement, d’endiguement, d’aveuglement et se découvrir enfin soi-même, nu mais épanoui.

 

Aoulia Messoudi

 

Frédérique Deghelt, Les brumes de l'apparence, Actes Sud, mars 2014, 368 pages, 21,80€

 

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