Etienne Davodeau & Benoît Collombat, Cher pays de notre enfance : Les années de plomb de la cinquième République

3 juillet 1975, le juge Renaud est assassiné à Lyon, Chicago-sur-Rhône. Depuis la Libération, aucun magistrat n’avait été assassiné en France. Inlassable, le juge poursuivait le gang des Lyonnais, qu’il soupçonnait fortement de braquer les banques pour financer les campagnes électorales du parti gaulliste au pouvoir. Les avocats défendant les intérêts de la famille voient leurs archives détruites par un incendie qui prend les allures d’une intimidation. D’où vient-elle ? En 1977, le cinéaste Yves Boisset sort « Le juge Fayard, dit le Sheriff », histoire d’un magistrat intraitable sur le point de révéler les liens financiers entre le parti en place et le milieu. Fayard paie le prix fort : celui de sa vie. Yves Boisset, quant à lui, est tabassé par des inconnus qui n’apprécient pas le cinéma-vérité. Toute coïncidence entre fiction et réalité est-elle fortuite ?

 

Fondé en 1960 par les nostalgiques d’une certaine fraternité issue de la Résistance, le Service d’Action Civique (SAC) est une association « ayant pour but de défendre et faire connaître la pensée et l’action du général de Gaulle ». Véritable police parallèle, le SAC est une garde de fidèles toujours prêts à en découdre avec les colleurs d’affiches du Parti Communiste, les membres du FLN ou ceux de l’OAS, à l’occasion, pendant la guerre d’Algérie. Les abominations du groupuscule aux contours mal définis éclaboussent le pouvoir. Pompidou songe à dissoudre l’organisation en 1969. Mais, seuls les truands les plus voyants sont éliminés. En 1981, le chef du SAC marseillais est massacré avec sa famille dans sa maison. Les membres du SAC, parfois, n’hésitent pas, par « civisme », à défoncer le crâne d’un enfant avec un tisonnier. La France entière s’émeut devant la tuerie d’Auriol. François Mitterrand fait dissoudre l’association en 1982.

 

Et Valéry Giscard d’Estaing dans tout cela ? Pas spécialement conquis par le gaullisme, il n’en a pas moins couvert, sans doute, les exactions du SAC et une partie de ses 47 assassinats politiques. Cher pays de notre enfance revient sur l’affaire Boulin – dont le procès n’a toujours pas été révisé à ce jour ! –, ministre du travail de Raymond Barre, dont l’exécution sommaire le 30 octobre 1979 fut maquillée en suicide. Boulin – homme intègre sali dans une affaire immobilière – savait sans doute trop de choses…   

 

Ce reportage en bande dessinée fouille l’histoire secrète d’un pays qui n’a pas fini de revivre ses années de plomb ni d’expurger sa mauvaise conscience. Dans ce noir et blanc qui rappelle la télévision de l’ORTF, les auteurs mettent en scène les témoins de l’époque – députés, journalistes, magistrats, policiers, malfrats repentis –, nous faisant pénétrer dans les coulisses d’une République égarée sur les sentiers de la honte. Charles Pasqua, co-fondateur du SAC, fera le choix du silence quand les auteurs le relanceront au téléphone… Balzac écrivait : « Il y a deux Histoires : l’Histoire officielle, menteuse, qu’on enseigne, puis l’Histoire secrète, où sont les véritables causes des événements, une histoire honteuse. » Bravo à Davodeau et Collombat d’éclairer les pages sombres de l’Histoire d’un pays qui nous est cher…

 

Note : Benoît Collombat, grand reporter à France Inter, est l’auteur de Un homme à abattre – Contre enquête sur la mort de Robert Boulin, Fayard, 2007.

 

Frédéric Chef

 

Etienne Davodeau & Benoît Collombat : Cher pays de notre enfance, Enquête sur les années de plomb de la Ve République, postface de Roberto Scarpinato, procureur général de Palerme, Futuropolis, octobre 2015, 208 pages, 24 €

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