Gabriel Matzneff, le diable est bien dans le bénitier

Voici un livre qui a bien failli ne jamais voir le jour. Contrat signé, à-valoir versé, tapuscrit livré quand… patatras le pédégé de l’éditeur un peu trop coincé dans sa morgue et surtout l’œil vissé sur le cours de bourse de son consortium, impose son veto. Nous vivons vraiment une époque formidable : tous ces crétins qui descendent dans la rue à la moindre anicroche, pour dénoncer ceci ou cela, croient encore qu’ils sont libres alors que c’est exactement tout le contraire !
Gabriel Matzneff chancela quelque peu à cette triste nouvelle, fatigué par avance de devoir chercher un nouvel éditeur, prêt à jeter le bébé avec l’eau du bain – il n’a plus l’âge de ces chamailleries – quand Jérôme Béglé, en ange gardien, lui proposa d’intervenir auprès d’une personne nettement moins frileuse.
Et la chose fut entendue…

Ce journal est à la hauteur de la réputation de son hauteur qui s’amuse à fourailler sur toutes les absurdités de notre quotidien, autant dire qu’il a l’embarras du choix : d’internet la pissotière à la piscine Deligny, des frasques de Valls contre Barrès au mariage homosexuel, de la tragédie palestinienne aux fastes de l’Eglise chrétienne, sans oublier le droit de mourir dans la dignité et le capitaine Haddock – oui, il suffit de toujours parler de Tintin !

Mais il n’y a pas que la plume acide chez Matzneff, il y a surtout un style et un vocabulaire qui chatoie nos oreilles internes à écouter derechef cette musique oubliée qu’est la littérature, même quand elle milite un peu et se veut réactionnaire. Mais dans le bon sens du terme : notre auteur rappelle, non sans gouaille, que si c’était mieux avant – dans certains domaines qui lui sont chers – c’est parce que la culture – et surtout la littérature, l’histoire, les arts – tous ces éléments indispensables à l’épanouissement de l’Homme, n’étaient pas de vulgaires biens de consommation.
Il y régnait une spiritualité désormais disparue…

Et en fil rouge, cette navigation à contre-courant dont Gabriel Matzneff raffole et qui lui permet de rappeler aux fats qui chantent à longueur de journée laïcité-laïcité qu’ils ne doivent pas perdre de vue que ce qui fait « la singularité de la religion, et donc son charme, ce n’est pas la raison, c’est la folie ; ce n’est pas la sagesse, c’est la poésie ; ce n’est pas la vertu, c’est l’amour ; ce n’est pas le possible, c’est l’impossible. Tertullien dirait : c’est l’absurde. »
Et sans absurde, point de beauté ; et sans beauté point de vie… supportable.

François Xavier

Gabriel Matzneff, Un diable dans le bénitier, Stock, janvier 2017, 386 p. – 20,50 euros

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