Gaëlle Josse, Nos vies désaccordées : La folie d’aimer

«Avec Sophie, j’ai tout reçu, et tout perdu. Je me suis cru invincible. Je nous ai crus invincibles. Jamais je n’ai été aussi désarmé qu'aujourd'hui, ni plus serein peut-être. »

 

François Vallier, jeune pianiste célèbre, découvre un jour que Sophie, qu’il a passionnément aimée puis abandonnée dans des circonstances dramatiques, est internée depuis plusieurs années. Il quitte tout pour la retrouver.

 

Confronté à un univers inconnu, il va devoir se dépouiller de l’homme qu’il croyait être et accepter de se regarder en face. Dans ce lieu carcéral privé de tout repère, le temps se suspend au point de se figer. François va revivre pas à pas, et jusqu' au basculement, son histoire avec Sophie, artiste fragile, imprévisible et anéantie.

 

La musique de nos vies parfois nous échappe. La partition elle-même semble à jamais perdue.

Comment espérer la retrouver ? Est-ce seulement possible ?

 

Avec une délicatesse désarmante où Sophie, enfermée dans son mutisme tente de renouer un impossible dialogue sans y parvenir, nos vies désaccordées autopsie les remords de François rongé par la culpabilité ; son passé s'impose à lui, au point qu’il aspire, mais en vain, à délivrer Sophie de ces démons, tout en sachant que c’est lui qui les a faits naître.

 

Gaëlle Josse excelle à restituer ces destins fêlés, voire abîmés, dans une langue aussi fluide que musicale, un lexique simple mais parfaitement accordé au tragique de cet impossible rédemption. Même quand la passion subsiste dans sa vérité, elle se heurte aux parois non capitonnées de la folie ordinaire. Mais qu’est-ce qu’être fou ? Sinon désespérément seul, prisonnier de soi-même.

Quelle intangible nuance sépare la démence, du dérèglement mental et plus encore la passion ou le simple engouement pour ce que nous voulons être ou devons être ?

 

Si l’on croit Khalil Gibran : « Le premier regard, c'est l'instant qui sépare l'enivrement de la vie et son éveil, la première lueur qui éclaire les régions intimes de l'âme, la première note magique jouée sur la corde d'argent de notre cœur.» 

 

Sophie a perdu pied à l'instant même où le regard de François s'est posé sur elle. Démunie, complètement anéantie par ces silences et ces notes abîmées, son âme blessée a cherché son salut. Sans le trouver.

 

Désormais, des silences assourdissants résonnent, ne demeure dans son esprit qu’une mélodie obsessionnelle, un adagio aussi déchirant que celui pour cordes de Barber. Cette Histoire ne pouvait ni finir, ni recommencer, et ces deux cœurs à vif s’étonnant de demeurer désaccordés.

 

Comment ne pas admettre alors que la relation de tous ces rendez-vous manqués nous gifle à chaque chapitre ? La vie n'épargne jamais les plus fragiles, et vouloir parvenir à ses fins, revient à puiser dans les ressources de l'autre. Serait-ce là le secret de la maladie de Sophie ? En fin de compte, qui est le plus fou ? La victime ou celui qui l’a rendu folle ? Quoi qu’il en soit, cette version de la démence pousse à étouffer l'énergie et l'espérance de l'autre !

 

Ce roman rare retourne comme un gant celui qui s’y plonge, envoûté par sa musicalité, sa vérité, sa violence. Grâce à lui, l’auteur nous convainc de la puissance de certains silences -véritables cris de l’âme.

 

Aoulia Messoudi

Gaëlle Josse, Nos vies désaccordées, Autrement, mars 2012, 144 pages, 13 €

1 commentaire

Bricol

je garde un très bon souvenir de cette lecture, j'aime bcp cette auteure!