"Déplacements, dégagements" : Michaux l’explorateur

L’importance du mouvement
Paru à l’origine en 1985 ce recueil est composé de deux poèmes, Où poser la tête ? suivi de Posture, et de cinq textes en prose. Mais la différence entre les deux ne semble pas ici pertinente : l’auteur a volontairement regroupé ces textes, et l’ensemble prend sens. A bien y regarder, il s’agit d’un catalogue : Michaux liste des sensations et leur effet perturbateur et qui par conséquent l’interpellent. Le « déplacement » du titre, c’est un changement d’état provoqué par un élément extérieur : une impression étrange et insistante ressentie lors d’une projection au cinéma, et qui venait finalement d’un défaut de l’œil, dans Une foule sortie de l’ombre ; une rencontre avec un instrument totalement dissonant qui ravit l’auteur puisqu’ils entrent tout deux justement en « harmonie » alors qu’il est d’humeur noire, suite à un accident qui l’a cloué au lit, dans Musique en déroute ; Essais d’enfants lui donne l’opportunité d’analyser l’émotion enfantine de dessiner un simple bonhomme ; Par surprise et Le jardin, enfin, voient l’auteur revenir à l’expérience de la drogue et à ses effets.

Auteur majeur malgré lui
« Sans pli, sans repli, sûr de lui,
regards aux dents de loup
sous ses sourcils noirs comme entre des meurtrières
le prophète envahisseur – paraclet aux cent pouvoirs
commandant aux innocents aux sourcils faibles
fait accourir l’Avenir
créant rumeurs, créant tumeurs, –
Le dégageant des événements, de l’inertie, du quotidien
poussant l’idée utopique, vrille incontrôlée
sous les fronts des naïfs
où elle s’enfonce sans résistance. »
Henri Michaux aura traversé le XXe siècle comme on traverse une place abandonnée à la fin de la nuit : sans bruit, sans mouvement excessif, rien que l’écho de ses propres pas et au loin le bruit d’une ville qui s’éveille lentement. Discret, il a su se faire une place presque malgré lui parmi les plus grands. Un homme qui, tout au long du chemin qui fut le sien, aura eu à cœur de désapprendre et de se perdre, d’abolir les frontières et de gommer les repères, de créer une géographie de l’imaginaire. Il était convaincu de l’animalité primaire de l’être mais ne disposait que des mots pour l’exprimer. Il a donc choisi de créer sa grammaire comme on mettrait des points sur une carte vierge représentant une contrée inexplorée. Pas toujours accessible, il a apporté une vision moderne et dynamique. Une écriture exigeante pour des lecteurs avides de différences et de dissonances.
Glen Carrig
Déplacements, dégagements, Henri Michaux, Gallimard collection L’imaginaire, janvier 2013, 150 pages, 7,50€
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