L'infini, selon Yannick Haenel, serait aussi dans le Cercle

Cercle est un roman à savourer sans modération : cela tombe bien, il compte plus de cinq cents pages... Poétique et ludique, chimérique et romantique, ce périple initiatique est truffé de clins d’œil, de trouvailles littéraires qui imposent un style, une voix, une musique lancinante qui capturent le lecteur dès la première page. Un grand livre c’est d’abord un style : comme un tableau de maître, il doit vous prendre à la gorge, vous déstabiliser pour mieux vous séduire. Yannick Haenel a ce talent-là ! Il a ce don du poète d’imposer l’image sur la musique du mot pour les associer dans une danse rituelle qui, à force de tourner sur elle-même comme des derviches déboussolés, permet à la trame romanesque de s’imposer dans toutes les fibres de votre corps.
Et la lecture redevient un plaisir sans limite, une extase de l’impossible révélé dans son entier, surgissant en vous comme le feu d’un premier amour.
Convoquant Bob Dylan, Rimbaud ou le Velvet, Haenel sait qu’il agit seul, que cette histoire d’un homme qui plaque tout un beau matin et part à l’aventure risque de tourner court ; mais il sait aussi que ce cercle vertueux dans lequel il n’hésite pas à s’enfermer pourra aussi le libérer. Odyssée moderne en proie aux vicissitudes d’une société décalée, il y a aussi une lecture pédagogique en filigrane qui nous rappelle le mal qui ruisselle dans les couloirs de l’Histoire.
Parti le nez au vent, errant dans un hôtel borgne en regardant les oiseaux dormir sur son lit la nuit ; passant ses premières journées de liberté dans un café à écrire et à disserter avec le taulier sur Homère, puis poursuivant une danseuse éphémère de ses charmes inavoués, le narrateur jouit de l’instant malgré les ombres portées qui dessinent un décor oppressant. La plongée en apnée dans les restes d’une Europe centrale exsangue impose un devoir de mémoire et une prise de conscience : l’insoutenable légèreté humaine ne pourra triompher.
À moins que.

À moins que l’enchantement des émois ne soit plus fort que l’attraction du pire. Pour cela il faudra tuer la bête qui sommeille en nous. Et pour le narrateur cela signifie franchir toutes les strates comme autant de portes d’un enfer qui rend possible de se libérer de tout désir Et la patience sera élevée à une sorte d’art, une forme de l’esprit : celui d’entendre les phrases comme elles viennent dans leur construction sensuelle et explicite, et de se laisser porter par le courant pour atteindre les variations de couleurs qui peignent la vie telle que, pour une fois, nous sommes en droit de vouloir la vivre.
Un livre que l’on rapprochera du Calme bloc ici-bas d’Alain Badiou (P.O.L), non dans le dessein - quoique - mais dans la volonté de se perdre pour mieux se (re)trouver, pour traverser le mur invisible qui se joue de ce tain illusoire qui ne revoie, finalement, qu’une image tronquée, mais une image tellement magnifiée par les rois du marketing qu’on en vient à oublier que l’on possède une âme.
Cercle est le révélateur dans lequel nous devons nous immerger pour que s’inscrive en lettres de feu la candeur des hommes, seul atout possible pour commencer notre travail de rédemption, et sauver ce qui peut encore l’être...

François Xavier

Yannick Haenel, Cercle, Folio, 560 p. – février 2009
initialement publié dans la collection "L’Infini", Gallimard, 512 p. – août 2007
Prix décembre 2007

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