Tchicaya U Tam’si, le Rimbaud noir

Un fat se vanterait des bienfaits de la colonisation en arguant de l’importance de la langue française sur le monde, de son bienfait sur les cultures soumises, les peuples endoctrinés et conduit vers les Lumières. Un sot dirait tout le contraire. Et vous, comment aborder ce métissage franco-africain qui donne de telles merveilles ? Puisque la vérité est ailleurs, c’est bien dans l’entredeux, cet inter-monde si cher à William Burroughs, que se tapit une réalité qui nous aura apporté de grands écrivains dans l’escarcelle française. Comment ne pas savourer cette langue enrichie par autrui ? Tchicaya U Tam’si, à l’instar de Salah Stétié, nous a offert le plus beau des cadeaux. Se dire qu’en anglais, allemand, portugais voire dans sa langue originelle rien ne serait pareil. D’autant que pour toute œuvre littéraire et plus particulièrement en poésie, la douleur y joue un rôle essentiel. Primordiale cette nostalgie du pays, surtout pour un Congolais arraché à sa terre – après l’avoir été des bras de sa mère – pour suivre la carrière de ce père grand commis de l’État. Paris est si éloigné des terres africaines que le manque se fit poèmes…

 

Le feu le fleuve c’est-à-dire

la mer à boire en suivant le sable

les pieds et les mains

au-dedans du cœur pour aimer

ce fleuve qui m’habite me repeuple

autour du feu vous ai-je seulement dit

ma race

il coule ici et là un fleuve

les flammes sont le regard

de ceux qui le couvent

je vous ai dit ma race

elle se souvient

de la teneur du bronze bu chaud

 

Cette poésie de l’être que l’on se transmettra – avant même de tenter de la comprendre – est celle de l’intime, une langue portée par les sarcasmes de celui qui a cru à la réelle indépendance de son pays, et œuvra avec Patrice Lumumba jusqu’à sa mort tragique. Revenu de l’enfer, Tchicaya U Tam’si écrivit comme beaucoup d’autres avant lui, pour ne pas mourir, foudroyé par l’imposante réalité de cette realpolitik que les yankee dictaient en Afrique.

 

Parallèlement à une carrière de diplomate international (UNESCO), il construit son œuvre au fil du temps, convoquant des images luxuriantes pour chasser le désespoir qui le nargue au coin des pages blanches. Magie de l’artiste en son devenir, poète magnifique qui transforme les mots en émotions et arrive à évoquer des chagrins qui offrent un réel plaisir de lecture. Aucune perversité ni larmoyance, vous touchez ici, tout simplement, au sublime et on oserait même dire que cette poésie-là est plus forte, puissante, évocatrice, en un mot supérieur à celle de Senghor…

 

Poète de la passion et de la déchirure, Tchicaya U Tam’si n’est en rien obscur et ses vers hermétiques, comme certains critiques inspirés ont osé les décrire. "Les clés sont sur la porte", s’amusait-il à répondre à ses détracteurs. En effet, l’importance des titres y joue un rôle déterminant. Même si l’on peut s’égarer autrement… notamment dans l’éclatement des poèmes à la syntaxe désarticulée. C’est un texte travaillé, une poésie de la rupture, un ton décalé, des collages, la mixité entre prosaïsme et sublime ; bref, une langue unique, celle d’un maître comme rarement l’on en croise dans sa vie de lecteur. Le Rimbaud noir, comme l’on a pu l’appeler, n’a – en effet – rien à envier à son illustre aîné.

 

M’affole

   cette eau si pure

   ce dont je me souviens

   les couleurs du temps

   l’oubli mal niché

   mes mains qui durcissent

          m’affolent.

 

Affolez-vous amis lecteurs, il est encore temps de palier cette lacune. Offrez-vous quelques plongées en eaux profondes, là où la pollution n’a pas encore établi ses quartiers, là où la légèreté s’acoquine, l’air de rien, avec un rayon de soleil égaré, une note cristalline, un amour perdu…

 

François Xavier

 

Tchicaya U Tam’si, J’étais nu pour le premier baiser de ma mère, préface de Boniface Mongo-Mboussa, Gallimard, coll. "Continents noirs", novembre 2013, 600 p. – 22,00 €

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