Michel Leiris y serre ses gloses dans son Glossaire, et vous ?

Extraordinaire époque que ce XXIème siècle qui permet ce tour de force technique et économique (il faut bien qu’il y ait quelques avantages à devoir subir cette société digitale) : voici, pour moins de dix euros, un magnifique livre de poche où la qualité du papier, de l’impression et surtout de la reproduction permet au lecteur d’avoir (enfin !) en mains deux extraordinaires livres d’habitude réservés aux seuls collectionneurs et autres bibliophiles argentés. 16 lithographies d’André Masson, 6 gravures de Joan Miró et 10 calligrammes dessinés par Michel Leiris pour accompagner ce truculent Glossaire, pas moins…

 

Car c’est ici de mots – et uniquement – dont il s’agit, de mots éraillés, éreintés, secoués, habillés, détournés pour le plus grand bonheur du lecteur. Michel Leiris, à l’instar d’Obélix, est tombé tout jeune dans le monde syntaxique : J’ai toujours attaché une importance extrême à ce qui relève du langage, témoignait-il, en 1949, dans La Règle du jeu. C’est en 1925, à l’âge de 24 ans, qu’il publia sa première série de 75 jeux de mots de son Glossaire j’y serre mes gloses… et en 1986 qu’il fera paraître la toute dernière série : 161 jeux de mots en rapport à l’agriculture. Notre homme est un sacré farceur…

 

Alignés comme dans un dictionnaire, les calembours et autres contrepèteries fusent de tous les bords de la page, le feu d’artifice est époustouflant ; ce qui nécessite des pauses et des prises d’oxygène si le lecteur ne veut pas finir sous un masque respiratoire, entre les mains d’une infirmière du SAMU, dans une boîte métallique fendant l’air et toute sirène hurlante ; mais, reprenons : le surréaliste Leiris notait à tout bout de champs la saillie qui venait de vriller son âme et noircissait ainsi agendas et morceaux de papier, journaux ou sous-verre, n’importe quoi pour ne pas perdre l’idée géniale qui venait de s’inviter dans le contre-pied d’une définition académique.

 

cerveau – cercueil de verre, sans renouveau.

buvard ses bavures bavardent.

nécessité : la cécité innée.

joie – oui, à son jeu ouaté j’ai joué…

 

Leiris est fou ? Sans aucun doute, et c’est bien là la meilleure des qualités que l’on puisse trouver à un homme, Artaud, d’ailleurs, ne s’était pas trompé (mais s’est-il jamais trompé ?) : Oui, voici maintenant le seul usage auquel puisse servir désormais le langage, un moyen de folie, d’élimination de la pensée, de rupture, le dédale des déraisons, et non pas un DICTIONNAIRE où tels cuistres des environs de la Seine canalisent leurs rétrécissements spirituels.

 

baiser (évidemment de braise).

 

Constamment enrichi, le corpus des gloses avait vocation à être organisé comme une encyclopédie, avec ses thèmes (botanique, métiers, etc.) pour que le monde se reflète dans ce microcosme créé autour de la langue. Projet vain : faute d’envie ou faute de temps ? Demeure ce premier volume de 1939 superbement enrichi par André Masson ; suivi en 1944 avec Joan Miró de Bagatelles végétales, l’un des plus beaux livres illustrés du siècle passé, présenté lors de l’exposition Maeght bibliophile, à la Fondation, en 1986. Jacques Dupin l’avait d’ailleurs noté : L’humour des jeux de mots et des contrepèteries de l’écrivain suscite paradoxalement chez Miró des aquatintes puissantes et austères.

 

sacrilège – un sac de cris l’assiège.

salive lascive…

zob – le beau z’objet qui pointe dans le sommeil de Booz.

 

François Xavier

 

Michel Leiris, Glossaire j’y serre mes gloses (avec 16 lithographies d’André Masson et 10 calligrammes dessinés par l’auteur), suivi de Bagatelles végétales (avec 6 gravures de Joan Miró), préface de Louis Yvert, Poésie/Gallimard, mars 2014, 192 p. – 9,50 €

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de mémoire :

vie : un dé la sépare du vide.