Benoît Duteurtre, L’ordinateur du Paradis : une France terrifiante
Mais, comme l'abbé de Vilecourt dans le Ridicule de Patrice Leconte ou Coleman Silk dans La Tache de Philip Roth, Simon Laroche prononce une phrase dont il ne mesure pas le caractère inapproprié : « La cause des femmes ! La cause des gays ! J’en ai marre de ces agités qui s’excitent pour des combats déjà gagnés. Ce n’est plus un combat pour la justice, c’est une stratégie de pouvoir. » Dès le lendemain, l’hydre à mille bouches, Google-Actualités, entre en hystérie. On apprend ici que « le rapporteur de la CLP en a marre des femmes et des gays » ; on affirme là que « les idées de l’extrême-droite s’insinuent peu à peu dans les cercles du pouvoir. Laroche démission ! ». Plus tard, le collectif féministe « Les Nettoyeuses » le conspue à la sortie de son bureau tandis qu’un chef de cabinet l’encourage à prendre la porte... Que peut, dans ces conditions, faire Simon Laroche sinon s’abaisser à rédiger son autocritique ?
La France décrite par Benoît Duteurtre est une France terrifiante, peut-être pas si éloignée de notre présent, une vaste démocratie promise à la transparence intégrale et livrée à la surveillance de ligues de vertu émancipatrices et puritaines qui se font un point d’honneur de pourchasser les parts maudites, promettant aux déviants la damnation médiatique et mondaine. En contrepoint des mésaventures terrestres de Simon Laroche, un nouvel élu se présente aux portes du ciel, prenant sa place dans la file d’attente qui le mènera au paradis ou en enfer. Et s’il était plus doux de frayer avec les pécheurs et les polissons, en des contrées arriérées où les réverbères ne s’allument jamais ?
Bruno Deniel-Laurent
Benoît Duteurtre, L’ordinateur du paradis, Gallimard août 2014, 224 pages, 17,50 €
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