Terres de sang : L'Europe entre Hitler et Staline





Je n’avais pas vu passer cet ouvrage en 2012. Un ami me l’a conseillé après avoir lu ma théorie de conquête russe des pays baltes du Dossier Rodina.

Les quelques sept cents pages de Terres de sang furent publiées sous le titre Europe between Hitler and Stalin chez Perseus en 2010. La belle traduction que nous propose Gallimard dans sa collection Bibliothèque des histoires est travaillée par Pierre-Emmanuel Dauzat. Je n’ai pas eu le loisir de la comparer à l’original, mais le travail de la langue est riche, cultivé dans ce niveau de perfection qui est voulu par NRF.

À sa sortie, le livre a soulevé beaucoup de débats chez les historiens par le choix de l’auteur de développer non pas une chronologie stricte de l’histoire européenne, mais une géographie de la systématisation génocidaire entre 1932 et 1945. En prenant cet angle de vue pour système de décryptage, la vision des massacres de populations fait tomber la barrière entre le nazisme et le stalinisme. Il montre une succession de tableaux où les régimes se confondent, toujours obsédés par les mêmes enjeux : le façonnage d’une humanité à la ressemblance obsédante des cerveaux malades qui les imaginent.

Le premier cri du livre « Maintenant nous allons vivre ! » dans la bouche d’un garçonnet ukrainien voyant passer les camions de blé réquisitionnés par Moscou en 1933, lance l’encyclopédique description de cette infernale partie du XXe siècle. L’enfant est mort peu après avec 3 millions d’Ukrainiens affamés, suivi des sept cents milles morts de la grande terreur pour une grande part, déjà, antijuive, puis des deux cents milles disparus polonais de 1940, dans une Pologne partagée par le pacte germano-soviétique entre l’Allemagne et la Russie. Puis ce furent les affamés des camps, la Shoah, avec une distinction intelligente entre camps de travail et camps d’extermination, le million de Biélorusses victimes des « représailles » systématiques de l’armée allemande, les quatorze millions de morts de la campagne de Russie, les centaines de milliers de déportés des pays baltes et finlandais par Staline.

L’étude m’a passionné, par sa valeur d’un témoignage abandonné des dogmes et des partis pris, réunifiant l’histoire juive à l’histoire européenne, laissant la parole aux oubliés et à ceux qui ne furent jamais condamnés : il n’y eu jamais de Nuremberg du stalinisme.

C’est un document coup-de-poing au ventre pour moi. On y plonge dans un récit méticuleux qui ne se quitte plus parce qu’il rassemble, éclaire, range ensemble toutes les Histoires que nous avons déjà apprises ou entendues.

« Les patries des victimes se situent entre Berlin et Moscou ; elles devinrent les terres de sang après l’essor de Hitler et Staline ».

« La culture contemporaine de la commémoration tient pour acquis que la mémoire empêche le meurtre. Si les gens sont morts en aussi grand nombre, est-il tentant de penser, ils ont dû mourir pour une chose d’une valeur transcendantale. Le transcendant vire alors au national : les millions de victimes devaient mourir pour que l’Union soviétique puisse gagner la Grande Guerre patriotique. La Pologne devait accepter sa légende de la liberté, l’Ukraine ses héros, la Biélorussie devait prouver sa vertu et les Juifs accomplir une destinée sioniste… »

Terres de Sang est le document historique à garder dans sa bibliothèque en référence de l’histoire européenne des massacres du XXe siècle.


Patrick de Friberg


Timothy Snyder, Terres de sang: L'Europe entre Hitler et Staline, Gallimard, "Bibliothèque des Histoires", avril 2012, 720 pages, 32 eur


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