C'est l'histoire de la Série Noire

Quand la littérature s’habille de noir


La Série Noire, la vraie, l’authentique, celle de chez Gallimard est une institution. D’abord parce qu’elle a fait connaître aux enfants de Voltaire et La Boétie des auteurs anglo-saxons tout à fait novateurs pour ne pas dire révolutionnaires. Ensuite parce qu’elle a permis l’émergence d’écrivains français jusqu’alors relégués dans les fonds de cour ou les parloirs. Enfin, et surtout, parce qu’elle a offert des heures de plaisir et de bonheur à tout amateur de polars. De « polars » et non de « romans policiers ». La différence est de taille. Celle qui sépare un Dashiell Hammett d’une Agatha Christie, un Jean-Claude Izzo d’une Mary Higgins Clark. Le polar, le vrai. Celui qui raconte des êtres en perdition au sein d’une société qui se lézarde, celui qui met non seulement le doigt mais toute la main sur des plaies béantes. Bref, le polar, quoi.


Cette année 2015 étant période d’anniversaire, après les 120 ans de Gaumont voici les 70 ans de la Série Noire. Créée par Marcel Duhamel, comme chacun sait. Sous l’égide scrupuleuse de Gaston et Claude Gallimard, ce que l’on sait moins. Car ces éditeurs n’ont jamais considéré la nouvelle collection comme un parent pauvre mais plutôt comme un oncle d’Amérique qu’il convient de traiter avec déférence.


Inutile de faire ici la liste de tous les auteurs qui ont éclairé la Série Noire. Plus amusant, sans doute, est de pointer ceux qui furent refusés (cela fait, notamment, l’objet de plusieurs paragraphes dans le chapitre sur les relations entre le roman américain et le roman français). Le plus célèbre d’entre eux étant, bien sûr, Léo Malet.


Cet album qui pèse son poids, en quantité et en qualité, reprend donc l’histoire de la collection. Sous une forme résolument originale : à chaque directeur, un traitement différent.


La période Duhamel (la plus longue) est riche d’une foule de détails, d’anecdotes. Elle reprend le cheminement de la Série Noire, année par année. Avec, en parallèle, les tentatives pour tenter de lancer des collections similaires. Il s’agit d’une véritable incursion dans la création littéraire avec de ci de là des coups de gueule d’auteurs s’estimant mal traités. Les premières années de la Série Noire furent des années bonheur. Les chiffres de vente sont éloquents. Ainsi lors d’un premier bilan dressé en 1971, on put relever : 215 000 exemplaires pour Touchez pas au grisbi (Albert Simonin), meilleure vente de la collection ; 173 000 pour Cet homme est dangereux (Peter Cheney), 165 000 pour Les femmes s’en balancent (Cheney), 162 000 pour La Môme vert-de-gris (Cheney, encore !), 143 000 pour Le cave se rebiffe (Simonin). Pour qui aime la littérature en général et la littérature policière en particulier, tout se chapitre est passionnant car solidement étayé.


Puis, après un entracte - La Série Noire et le roman noir américain – voici la période Robert Soulat qui succéda à Duhamel et dirigea la collection de 1977 à 1991. Cette fois le focus se fait sur les auteurs français découverts ou confirmés durant cette période. Ils sont nombreux. S’en détache Daniel Pennac. Est traité aussi le creux de la vague qui faillit se solder par la disparition de la Série Noire. Désaffection du public, concurrence acharnée, augmentation du prix de fabrication… les sorcières s’acharnèrent contre la Série qui réussit cependant à sauver sa peau.


La période Patrick Raynal change d’aspect puisqu’il s’agit d’une longue interview du susdit débutant par son arrivée (presque inattendue) à la tête de la collection, ses prises de positions et ses découvertes.


Enfin l’actuel directeur, Aurélien Masson (en place depuis 2005) se fend d’un texte où il explique les nouvelles orientations. Il ne manque pas de citer in extenso tous les auteurs qui sont entrés dans la Série sous sa coupe.


Ces chapitres plus qu’instructifs sont suivis par un superbe portfolio où se côtoient des couvertures des fameux pulps américains, des affiches de films et de nombreux documents concernant la Série Noire proprement dites (il y a même des photos de demoiselles gentiment dénudées posant pour les couvertures de la collection Carré Noir).


Puis viennent les archives. Pour la plupart des courriers. Qui n’apportent pas grand-chose (la plupart sont évoqués dans le corps du texte) mais ont la patine de documents d’époque.


Comme l’on pouvait l’espérait, le livre se termine par la liste complète des livres parus à ce jour. Je dois confesser, à ce sujet, que je ne connais qu’une seule personne possédant la collection complète : le producteur Jean-Louis Livi. Les livres décorent sa salle d’attente et son bureau. Ce qui peut paraître étonnant de la part d’un homme peu porté sur les films policiers mais ce qui ne fait que confirmer sa curiosité et son éclectisme. Personnellement je suis loin de posséder la collection complète ; à peine un tiers (si vous voulez faire des dons, je suis preneur).


Nul besoin de préciser que ce livre va s’imposer auprès de tous les aficionados. C’est un document rare. Mais non exempt de coquilles. Ce brave nigaud d’Eddie Constantine se voit souvent prénommé Eddy. Plus amusant (p 89) : le célèbre Bullitt avec Steve McQueen devient Bulot ! Un polar intitulé Bulot, je cours le voir !


Philippe Durant


 Frank Lhomeau et Albert Cerisier, C'est l'histoire de la Série Noireavec la collaboration de Benoit Tédié, Claude Mesplède, Patrick Raynal et Aurélien Masson, Gallimard, novembre 2015, 265 pages, 29 eur

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