Les avant-gardes artistiques 1848-1918 – Une histoire transnationale

Inédite, cette histoire transnationale des avant-gardes artistiques est livrée directement en poche (avec un cahier central de 22 illustrations couleurs) : voilà une belle initiative à saluer (on imagine facilement le prix astronomique qu’un tel ouvrage en grand format peut atteindre pour des étudiants qui connaissent – eux – la valeur d’un euro). Merci Gallimard, et bien entendu, expérience à renouveler le plus tôt possible !

Maître de conférences en histoire de l’art contemporain, agrégée d’histoire, spécialiste de la sociologie historique des avant-gardes (XIXe-XXe siècles), Béatrice Joyeux-Prunel enseigne à l’Ecole normale. Son travail porte essentiellement sur l’internationalisation artistique et l’histoire globale des arts, les transferts artistiques et culturels et les approches quantitatives en histoire de l’art. Elle dirige également le projet ANR-Jeunes "ARTLAS".

Elle nous livre ici le fruit de plusieurs années de travail : un livre-synthèse, un livre qui allie, aux approches chronologique et artistique, une démarche à la fois sociale, sociologique, marchande, culturelle et transnationale. Un outil qui va permettre de comprendre pourquoi les avant-gardistes apparurent en certains endroits et pas à d’autres. Comment se tissait le réseau de circulation et surtout, comment la plupart avaient pu finir par connaître une véritable canonisation.

 

Pour y répondre, Béatrice Joyeux-Prunel a étudié divers processus qui ont démontré que les logiques de formation des avant-gardes européennes furent indissociablement artistiques, sociales et transnationales. Comme toujours en contre-pied, l’artiste parisien – et européen – d’avant-garde s’est forgé – formé – au cœur d’un contexte social qui rejetait toute innovation… L’artiste est toujours seul.

Au début du XIXe siècle, la naissance des avant-gardes sera concomitante à l’émergence de la presse, puis se liera aux techniques d’impression et de reproduction en série. L’un n’allant pas sans l’autre, les discours traversèrent aussi les frontières et un certain art participa à la « fabrication des identités nationales », et inversement. Une sorte de mouvement « géopolitique » se mit en place par lequel les plasticiens novateurs recoururent à la référence étrangère pour s’opposer aux institutions nationales, travaillèrent à internationaliser leurs réputations pour mieux s’imposer…

 

Ce livre porte sur les plasticiens d’avant-garde et part donc de Paris, lieu de naissance de ce « projet ». Mais qu’est-ce donc être à l’avant-garde dans les arts, entre les années 1840 et 1960 ? Dans ce livre, cela s’entendra de manière sociologique, c’est-à-dire à la fois « affirmer et être dans une position de rupture dans le champ des luttes pour la conquête de la réputation artistique, à une époque donnée ». Donc exit les artistes qui jouent à l’être, seule compte la manière d’aborder le « champ de l’art », défini, à la suite des sociologues, comme « un système de positions relatives, historiquement situé, auquel correspondent aussi bien des valeurs partagées, que des concurrences pour la domination, selon ou contre des règles et des valeurs établies à l’intérieur de ce champ ».

Une posture donc, une manière d’être et d’accomplir son dessein qui fit tâche d’huile en Europe d’autant que le jeu fut presque toujours géopolitique, les artistes jouant toujours l’un contre l’autre afin de provoquer une réaction et se faire reconnaître par les marchands, puis la presse, les collectionneurs et enfin… l’Histoire.

 

On sentira à la lecture l’influence de Pierre Bourdieu car la sociologie a toute sa place dans l’histoire de l’art : Béatrice Joyeux-Prunel l’assume – et ce n’est pas un travers ! – car un artiste ne crée pas seulement pour la beauté du geste, son œuvre porte un message, signifie quelque chose de plus qu’un simple objet « décoratif », c’est aussi – surtout – une prise de position ferme et définitive dans un espace social concret, dans un champ défini, et joue donc un jeu dans la manière donc il sera perçu, dans et hors de ce champ, par les membres de la famille sociale qu’il regroupe.

Béatrice Joyeux-Prunel le confirme : elle est persuadée que la sociologie, qui permet de comprendre les situations des artistes et leurs raisons d’agir ou de réagir comme ils le firent, éclair la compréhension des œuvres.

 

N’oublions jamais que des papiers collés de Picasso aux ready-made de Duchamp, l’art dit « d’avant-garde » ne sera jamais l’illustration d’une époque, au contraire, il agit plutôt comme une loupe dans laquelle le chercheur peut étudier, analyser, porter son jugement critique : et c’est de ce point de vue que sa portée sociale et transformatrice fut indéniable.

 

Doté d’appendices conséquents (+200 pages) qui permettent aussi d’aller piocher selon ce que l’on recherche précisément, cette somme qui se lit avec une facilité déconcertante (ce qui est plutôt rare dans le milieu universitaire) est une mine d’informations, et un régal pour qui s’intéresse au monde de l’art en général, et à ces « fous furieux » d’avant-gardistes à qui l’on doit tant…

Une très belle réussite !

 

François Xavier

 

Béatrice Joyeux-Prunel, Les avant-gardes artistiques 1848-1918 – Une histoire transnationale, cahier central de 22 illustrations couleurs, Folio histoire n°249, Gallimard, janvier 2016,  976 p. – 9,50

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