James Sacré & la Musique humaine

Ce qui distinguerait la poésie de James Sacré – si tant est utile de toujours chercher à comparaître, dépeindre, illustrer – ce serait, peut-être, une certaine littérature qui serait « une rencontre qu’on a faite avec le temps des visages », ceux des lecteurs qui se reconnaissent, se laissent happer, voyagent avec le poème comme d’autres avec la peinture ou la musique… Il faut dire que James Sacré est un poète-voyageur, un humaniste en quête incessante d’un autre, curieux de tout et particulièrement des cultures d’ailleurs. Sans doute pour échapper à cette enfance paysanne, dure, ancrée dans un pays terreux donc aux racines millénaires, aux gestes ancestraux… Une vie rude et austère mais dans laquelle le poète puisera toute sa vie l’essentiel de sa trame littéraire : origines, nature, paysage, travail manuel, simplicité et donc intelligence de situation, sens de l’adaptation voire ruse.

 

Sa poésie peut sembler complexe mais jamais compliquée car « le lecteur ne s’interroge pas sur ce que le poète veut dire, il le dit, en clair », souligne Antoine Emaz dans sa préface. « Nous sommes en face d’un jeu subtil de formes, d’écriture, qui ne gêne pas la saisie du sens. » Voilà donc une poésie qui imprime sa langue sans hauteur intellectuelle prétentieuse qui rejetterait le lecteur : bien au contraire, elle l’accueille en son sein !

 

Figure 15.

 

Quelques fois l’été est tellement bleu avec du vent qu’on voit pas

sauf dans la touffe au loin d’un arbre

on est dans un village et ça ressemble à un poème

de Pierre Toreilles par exemple on dirait que ça dit un sens

évident et fort entre la lumière et les pierres

alors que probablement c’est infiniment vide mais comme

le visage de quelqu’un qu’on aime et qu’on a vu récemment.

 

Poésie incarnée, poésie apaisée, de la beauté célébrée au lyrisme déployé dans les vers, James Sacré parle avant tout de l’Homme, mesurant et contrôlant le pathos en le conservant a minima afin que seule la profondeur de sa présence habite le poème sans peser sur l’émotionnel. Pourtant il y a, pour celui qui sait entendre, les bruits du monde, les événements historiques qui grondent dans l’arrière-plan ; mais par décence, Sacré ne fait que les évoquer, en pointillés, simple décor mais qui engage, néanmoins, le lecteur vers une direction.

Poésie pas nécessairement heureuse par les thèmes abordés, mais en aucun cas naïve ; plutôt une sorte de bonheur latent qui vogue avec les mots, accompagnant « sans mal une sorte de tissage de ce qui est traversé, vivant ». C’est, finalement, une poésie accessible, qui ne se refuse pas, un geste vers…


Quelqu'un voulait dire c'est la solitude, ma solitude.

Mais c'est la solitude à personne seulement le temps qui,

Un dimanche, et la lenteur.

Quel souvenir est-ce qu'on entendrait sinon

Un bruit qui revient dans quelques mots

Dans un cœur défait ? on se demande.

Le temps est là toujours tout seul.

Quelqu'un veut dire et c'est personne sauf

Comme un sourire qu'on mélange un peu à la misère , pas bien.

 

James Sacré est un poète du descriptif, un narrateur qui n’a de cesse de bâtir des passerelles dans l’espace et le temps, il n’y a pas ici de poésie abstraite : la technique narrative va du dehors vers le dedans, d’une réalité vers son impact interne sur la sensibilité du poète – et du lecteur, par ricochet.

Ainsi, bien souvent, la chute du poème est plus liée à un effet de fermeture qu’à une volonté de conclure définitivement, jouant en cela avec la forme interrogative qui laisse une porte ouverte, une interprétation autre ; ou alors James Sacré termine-t-il par l’intensité de la beauté d’un paysage. Effet de couleur, peinture en figure de style qui affirme le poème dans son unité.

 

un paysage comme un peu défait grande en planches

mal à l’équerre avec la plan d’un pré ; il y reste des

traces de peinture rouge ; elle pourrit lentement au

bord d’un buisson

 

Ingeborg Bachmann évoque, à juste titre, dans ses Leçons de Francfort (1959) ce qui distingue une œuvre importante : « Seule la direction, seule la manifestation continue d’une problématique constante, d’un monde de mots, de personnages et de conflits qu’il est impossible de confondre avec un autre, nous met à même de voir tel ou tel poète comme inévitable. »

James Sacré est bien un poète inévitable.

 

François Xavier

 

James Sacré, Figures qui bougent un peu et Quelque chose de mal raconté suivi de Une petite fille silencieuse, préface d’Antoine Emaz, Poésie/Gallimard, janvier 2016, 275 p. – 6,50 €

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