Les Odes (pas si) dérisoires d'Olivier Barbarant

Né en 1966, Olivier Barbarant n’en est pas moins habité par le refus d’être moderne, d’aucune manière, se disant – à juste titre – qu’être poète est bien suffisant, d’autant qu’il a – tout de même – une petite idée de ce que son œuvre pourrait – devrait – être, pour le moins, ressentie, lue, accueillie par le public : des poèmes qui conjuguent quotidienneté et tentation mystique, tenue classique et liberté de ton, élan lyrique voire frénésie, aventure, carte blanche et advienne que pourra… la langue, jamais, ne s’enferme dans un carcan ! Même – surtout – si l’on veut y associer quelques idées, semer le trouble, inciter le lecteur à réfléchir quelque peu, le peu qu’il lui reste entre deux émissions de télévision ou l’envoi de SMS sans intérêt. Oui, Olivier Barbarant possède quelques idéaux, pense l’injustice amendable, la beauté balançant de sa faiblesse la force irrépressible de la tragédie…

 

L’OMBRE ET L’ORANGER

 

L’ombre dit : Cette neige odorante tendue à bout de bras

Dans le vernis des feuilles et le velours du ciel ne servira de rien

L’avenir véritable est tapi parmi les racines

 

L’ombre dit : Ton printemps brûle des erreurs

Et ses flocons d’aurore pour moitié traînent déjà sur le sol gris

Très vite la rosée les tache et le vent le soulève et le soleil les racornit

[…]

 

Ce sera donc ici, sur terre, que les expériences auront lieu, toutes les expériences, même les plus célestes car il a en mémoire l’avis de Novalis – « C’est le ciel que l’on touche lorsqu’on touche un corps humain » – et y adhère en laissant le hasard lui donner l’accès aux plus hautes altitudes… Un texte profond et un lyrisme assumé pour célébrer l’étreinte des corps qui devient l’acmé d’une plénitude sensorielle qui se communique au langage.

C’est l’explosion de la sensation : du corps désiré des garçons à la matérialité du monde réel, Olivier Barbant révèle l’intensité d’être dans la métaphore d’une pulpe de fruit. Cette intensité, la musique lyrique la veut légère et fluide…

 

LE CADRAN DES JOURS

 

Sous le kiosque de la mémoire tout l’orchestre s’est tu.

Ne reste plus qu’un peu de temps

congelé dans de l’ambre,

des reste grêles d’insectes

ou des fragments de feuilles :

or sale et cendre

tout le passé ce soir ressemble

à un mégot dans de l’urine.

 

« Je ne travaille pas sur la toile mais sur celui qui la regarde », disait Matisse ; gageons qu’Olivier Barbarant produit le même effet – voulu ? – sur son lecteur qui s’avancera vers l’écriture du poème pour tenter de s’y situer, et de reprendre place dans le concert du monde, s’offrant une expérience de vie et une aventure langagière… Le lecteur devient alors une sorte de poète, confirmant la sentence de Louis Zukofsky, non car il contribue à la poésie même, mais bien car il se découvre sujet à son énergie. Emporté, terrassé, le lecteur est cette brindille que le vent du poème souffle hors de lui : désormais nu, dépouillé de ses scories sociétales, il ira dans le texte, entre amours et deuils, se remémorer une existence autrement possible dès lors que l’on oblitère les gouffres intérieurs qui vous aspirent inutilement. Alors se jouera un autre possible dans une existence libérée des contraintes et des déconvenues, une existence avec celle auprès de qui s’endormir tous les soirs sur sa hanche douce.

Tableau poétique, ce florilège laisse sans voix, comme Olivier Barbarant face aux toiles de Depuis, peintre français du XVIIe siècle : « Tout le faux-semblant des idées dès qu’une œuvre parle s’effondre / C’est la ruine des mots on ne sait pas ».

 

François Xavier

 

Olivier Barbarant, Odes dérisoires et autres poèmes, préface de Jean-Baptiste Para, Poésie/Gallimard n°512, février 2016, 192 p. – 7,20 €

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