Au commencement

On aimerait tous savoir : quid de l’œuf ou de la poule ? Hein, sans blague, féminin ou masculin ? Ah, je vois, question genre le sujet est tabou, vous n’êtes pas de la race des rigolos, je vois… Donc, comment faire si je désire savoir, toutefois, au sujet de ces mystères des débuts, les Grands Débuts de cette humanité que je vomis parfois tant elle me hante, me désespère, me foudroie ; comment en est-on arrivé là ? Quelle est l’origine du monde ? Et ne venez pas me sortir Courbet de votre chapeau de magicien, restons courtois, restons lisible, pour ne pas dire littéraire… Car le monde est là.

Sous mes fenêtres, les générations se succèdent, les chansons perdurent, la musique siffle et le ciel s’embrase sous le regard émerveillé des enfants innocents. Mais une inquiétude me taraude, corps et esprit s’embrouillent : parfois cela donne de belles choses, du plaisir à n’en plus finir, une jouissance unique ; mais parfois cela ouvre sur des noirceurs infinies. Je ne crois plus aux légendes, je ne crois plus aux promesses que tout va bien, que tout ira mieux demain, un jour l’autre ; oui, mais quand, alors ? Jamais ? Jamais !
Je ne veux ni croire la Genèse ni admettre qu’on l’énonce comme une évidence, histoire de n’avoir même pas à prouver que c’est une vérité ; laquelle n’est qu’ailleurs, Mulder l’a dit sur près de cent épisodes, la vérité est ailleurs, donc laissons les mots au repos et voyons les images. Que nous racontent-elles ? Un périple de sept jours qui se construit autour d’un concept.
Sept jours et sept nuits…

Bereshit, « au commencement », en hébreu, et déjà un pied de nez, Aleph est dépassé par Beth ; même pas capable de respecter l’alphabet dans le bon ordre ? Quel est ce dieu qui a de l’humour ? Le Zohar, le grand livre de la kabbale, s’est intéressé de près à ce hiatus de nos débuts. Est-ce un message subliminal pour dire aux Hommes de ne jamais suivre aveuglément les préceptes du Livre ? Qu’il doit y avoir impérativement le libre arbitre qui entre en jeu ? Alors nous avons un sérieux problème avec les hordes de fondamentalistes qui se targuent d’obéir au dogme, s’ils n’ont même pas compris l’essentiel de l’impérieux désir d’avenir qui se cache dans ses lignes…

 

Les sages nous racontent comment Dieu aurait accordé cette faveur à la lettre Beth après avoir récusé vingt autres lettres, et avant même que la lettre Aleph puisse prendre la parole. Est-ce parce que la lettre Beth ouvre la bénédiction Baroukh ? Ou parce que Dieu ne reprend jamais ce qu’il a accordé ? Ou encore parce que toute la Création est déjà contenue dans ces vingt-deux lettres ? se questionne Jean Mattern dans sa préface…
Eli Content cherche, lui aussi, des réponses, pinceau en main : toiles immenses, peintes à même le sol, dans un atelier d’Amsterdam. Tableaux en questionnement de cette première semaine de l’humanité.

L’artiste attise notre regard, tente de nous dessiller les yeux en arborant les formes de la lettre Beth dans toute sa simple puissance. Un rappel à la beauté du monde si injustement détruite, niée aujourd’hui plus encore, en mettant la lumière sur le primordial détail : une grappe de raisins, un arbre, une étoile ; et l’homme qui apparaît au détour d’une ombre, flottant dans l’espace. Mais d’ailleurs, ce grand sot, n’a-t-il jamais mis réellement les pieds sur terre ?
Toujours à croire aux mirages plutôt que d’affronter le tragique de sa situation : on voit le résultat. Un désastre !

Eli Content peint sur un collage de papiers journaux, délaissant la toile, trop académique ; et puis l’idée de l’éphémère lui plait aussi, ce temps qui n’est décidément pas grand chose, si ce n’est une suite de chiffres sur le cadran d’une montre.
Les œuvres réunies dans le présent ouvrage vous invitent à un voyage autour des mots, des lettres, des formes qui donnent cette musique du langage. Cette origine de tout, de ce qui nous constitue, nous façonne, nous tue, aussi…
Cycle sans fin alors, aucune création n’est achevée pas plus qu’un destin qui rebondit d’une âme l’autre, toujours en action, faire, refaire, défaire, refaire, un cycle, la vie, un (re)commencement…

 

François Xavier

 

Eli Content, Au commencement, préface de Jean Mattern, 275 x 330, couverture cartonnée, 50 illustrations couleur, Gallimard, juin 2016, 64 p. – 22,00 euros

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