L'autre qu'on adorait

Thomas est pour son groupe d’amis, "le meilleur d’entre nous". Un garçon brillant, entouré, drôle. A l’annonce de sa mort précoce, son amie et narratrice dira de lui : "j’ai pensé qu’il y aurait moins de rire sur la terre". Si un seul d’entre eux devait réussir, c’était lui. Mais pour des raisons obscures, il échoue deux fois de suite au concours de l’Ecole Normale Supérieure. Parvient en même temps, à décrocher deux 20/20 pour un cancre au profit de qui, il passe frauduleusement les épreuves du bac ! Volonté inconsciente de rater ce qui lui tient tant à cœur, lui, le fils d’une femme qui s’était élevée socialement grâce à la lecture et le voyait au minimum normalien ?


Aux Etats-Unis où il s’envole, la réussite n’est pas non plus au rendez-vous. Si avec les femmes, Elisa, Anna, Olga, Nora et tant d’autres, le jeune homme puis l’homme mûr est un amant tourmenté et magnifique, il en va tout autrement pour sa vie professionnelle. Les jobs s’accumulent : un emploi de conseiller culturel à New York, l’écriture d’un scénario, un emploi de lecteur à l’université de l’Oregon… mais les projets essentiels, la thèse sur Proust, le grand roman qu’il s’est promis d’écrire piétinent. "Pourquoi échoues-tu si fort ?" demande celle qui fut l’amante, puis l’amie de ce garçon à la sensibilité si forte, celui dont elle écrit l’oraison funèbre, la descente aux enfers entre ses dix huit et ses 39 ans, l’âge de son suicide.


Ecrit à la seconde personne du singulier, ce roman âpre et singulier tente d’approfondir le mystère de l’ami trop brillant, du météore diagnostiqué bipolaire, bien après les échecs. Mais mettre un mot sur un état n’explique rien et demeure le beau portrait d’un homme inclassable qui avait tout et qui pourtant a "rejoint sa condition authentique. Clochard  dans le métro et sous les ponts de Paris".


Catherine Cusset, auteur de livres brillants, dérangeants comme La Haine de la famille, ou Un brillant avenir poursuit avec L’autre qu’on adorait, sa description de la solitude et du mystère de l’humain. Pas plus que le lecteur, elle ne comprend le suicide annoncé de son ami et ce point d’interrogation signe la grandeur et la force de son livre.

L’autre que l’on adorait


Brigit Bontour


Catherine Cusset, L'Autre qu'on adoraitGallimard, août 2016, 304 pages 20 euros

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