L’insoutenable mise en pièces de Nina Léger

Rares, si rares, sont les livres que l’on lit, que l’on dévore d’une traite une seule, pour que celui-ci trouve sa place dans mon petit Panthéon ; non qu’il s’agisse d’une pièce fondamentale de la littérature – quoique, outre le style il y a aussi un vocabulaire érudit et de l’humour, cocktail qui rend la lecture douce et plaisante –, non, ce qui rend indispensable ce livre dans une bibliothèque c’est… son sujet. Et son traitement.

 

Un-livre-coup-de-pied-de-l’âne, comme j’aime à les nommer, ces électrons libres de toute censure, de toute idéologie ; livre-étendard d’un flambeau libertaire à jamais planté dans le terreau sociétal pour rappeler aux demeurés mentaux qui érigent des dogmes interdisant ceci ou cela aux femmes, qu’en sus d’être nos égales, elles ont aussi droit à leur liberté totale, à leurs fantasmes, à leur vie intime à mener comme bien leur semble, au-delà de tout interdit, de tout jugement, de toute moquerie ; d’autant que ces Messieurs oublient trop vite que ces femmes-là, libres de leur désir, en jouissent avec eux – ces redresseurs de tort, ces inventeurs de morale insipide et hypocrite  – et pas seulement avec quelques sex toys, même si parfois c’est nettement plus plaisant…

 

Sauf que, Jeanne, justement, a trouvé le moyen de s’amuser, d’admettre ces décharges de libido qui lui vrillent le ventre par moment, en abordant un homme au hasard, avec un manège très précis, une technique infaillible, et une fois dans la chambre d’hôtel – et uniquement pour pouvoir, ensuite, composer son palais de souvenirs sans le pathos lié à un lieu de mémoire – , la voilà concentrée uniquement sur la chose, point de conversation, d’émois inutiles, seul existe, s’impose, domine le jeu érotique, le plaisir de goûter, sentir, tenir, mener à la jouissance ce sexe libéré des contraintes d’une éducation, d’une vie bien réglée, ce sexe masculin affranchi le temps d’une parenthèse par la grâce d’une fée aux doigts légers, aux lèvres rieuses, à la langue frétillante…

Mon grand-père disait toujours quand il y a de la gêne il n’y a pas de plaisir : Jeanne applique à la lettre la maxime dans l’apesanteur d’un destin assumé. Oui, le confirme Sollers (Beauté), "L’érotisme est bienveillant comme une déesse ou un dieu. Il ne manque de rien et ne cherche rien. Il est d’accord."

 

Nina Léger évite l’écueil du second roman sur lequel de grandes signatures se sont cassés les dents. Avec une réelle maîtrise, elle croque une suite de scènes avec le recul d’une ethnologue qui s’amuserait, loupe en mains, à scruter certains détails cocasses qui en deviennent de véritables passages d’anthologie – dont l’épisode du bébé attiré par le contenu du sac de Jeanne, dans le métro, est un bel exemple d’association des pires dans le burlesque – et ainsi conduit son lecteur, sans jugement mais avec l’application d’un maître d’orchestre, à écouter chaque instrument dans sa réelle tonalité, comme tous les sentiments contradictoires qui habitent nos âmes…

Et l’on se surprend à espérer pour que cette histoire soit vraie.

 

François Xavier

 

Nina Léger, Mise en pièces, Gallimard, janvier 2017, 160 p. – 15,00 euros

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