Calder en forgeron de géantes libellules à Rodez

Marguerite « Peggy » Guggenheim s’endormait tous les soirs, à Venise, dans le palais Venier dei Leoni, désormais musée, sous le regard bienveillant d’une tête de lit spécialement conçue pour elle par Alexandre Calder, en 1946.

Mais nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne, restent donc les expositions pour nous permettre d’approcher au plus près les merveilles inventées et réalisées par ce drôle de sculpteur qui se jouait des espaces et de l’équilibre pour concevoir des mobiles métalliques d’une extraordinaire légèreté.
Ainsi, le musée Soulages, à Rodez, accueille jusqu’au 29 octobre 2017 une exposition Calder, dont le titre est emprunté au poème d’André Masson, L’Atelier d’Alexandre Calder (1942), et qui retrace par touches thématiques, la carrière de l’artiste de 1924 à 1976, en présentant près d’une centaine d’œuvres dont une sculpture monumentale, installée sur le Foirail, face à l’entrée de l’institution.

Le mobile est une création telle qu’elle échappe à son créateur, précisa le critique Michel Ragon en 1967, une manière d’introduire toute la complexité du dessein de Calder qui œuvrait à réconcilier terre et ciel dans une harmonie mécanique dont l’équilibre est le point nodal, centre névralgique d’où émanent toutes les idées de mouvement… Du plus simple mobile aux immenses sculptures, les pièces maîtresses de l’œuvre d’Alexandre Calder dialoguent avec le monde moderne en train de muer en ce début du XXe siècle.
Dans ce mouvement perpétuel qui chamboule la peinture, Calder révolutionne la sculpture par ses archétypes habités d’un dynamisme grisant et d’effets pour le moins… entraînant : Un jour que je parlais avec Calder dans son atelier, un mobile qui, jusque-là, était resté au repos fut pris, tout contre moi, d’une violente agitation. Je fis un pas en arrière et crus m’être mis hors de sa portée. Mais, soudain, lorsque cette agitation l’eut quitté et qu’il parut retomber dans la mort, sa longue queue majestueuse, qui n’avait pas bougé, se mit indolemment en marche, comme à regret, tourna dans les airs, et me passa sous le nez, rapporta Jean-Paul Sartre en 1946.



Le roi du fil de fer a cependant d’autres tours dans son sac à malices : c’est bien modestement qu’il débuta, avant-guerre, par des figurines de cirque ou des petits personnages. Le Cirque Calder apparaît, après coup, un feu foutraque mais il prédispose à l’œuvre en devenir : bois, feutre, tissu deviendront des bronzes gigantesques, en passant par quelques gouaches et peintures, et même un encrier offert à André Masson…

Dès 1932 apparaissent les Mobiles (nom trouvé par Marcel Duchamp), des sculptures en métal suspendues dans l’espace, avec des fils de métal et des baguettes auxquels sont accrochés des découpages de tôle peinte : des sortes d’élytres de libellules, d’ailes de papillon, de pétales… certainement en rapport avec la rencontre décisive avec Piet Mondrian, à Paris. Cette seule visite me fit ressentir le choc – ce choc qui, pour moi, a tout déclenché, avouera l’artiste américain dans sa biographie publiée chez Maeght en 1972.
 



En contrepartie, Calder invente presqu’aussitôt ses Stabiles, des sculptures assises, noires, aux structures rondes ou aigues, à couper le vent, sortes de vaisseaux fantastiques, boulonnés et démontables quand les proportions dépassent l’entendement…
 

Ce sera donc l’abstrait qui pilotera l’imagination de Calder, l’inspiration à toujours repousser les limites de la pesanteur, du concret, pour que dansent les couleurs et les formes selon l’esprit des lieux. Car notre artiste est pétri d’humour et ne veut pas que son œuvre demeure figée, quoi de mieux alors que le mobile ouvert à tous les vents, sensible au moindre déplacement d’air ?
Ainsi le voilà en train de montrer l’utopie du grand espace pour rejeter toute idée que l’abstraction pourrait faire référence à la vie, et ainsi tendre son projet vers la reconstitution physique d’un cosmos chargé d’énergie, de tensions, de forces et de vitesses…

Ponctués de nombreux témoignages – dont celui de Pierre Soulages – ce bel album porte en lui l’âme de cet artiste hors norme qui sut imposer ses désirs au-delà des contraintes de la pesanteur pour signifier sa pleine et entière dévotion à la liberté.
Pari réussi en répondant par l’affirmative à la question qu’Apollinaire posa en 1913 :
Quelle sculpture s’élèvera dans les airs comme un astre plus beau que tous les astres ?
Celle de Calder, bien entendu !

François Xavier

Collectif, Calder, forgeron de géantes libellules, plus de 140 illustrations et photographies, 215x280, couverture cartonnée, Musée Soulages Rodez/Gallimard, juillet 2017, 208 p. – 35 €

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