Molly Warnock : Penser la peinture de Simon Hantaï ou comment décrypter l'impensable

Le titre pourrait laisser à penser que l’on va s’embarquer dans un pensum d’universitaire qui parle de lui à travers autrui. On pourrait se sentir repousser par cette idée hallucinante de vouloir penser quelque chose qui doit absolument se ressentir, se vivre, s’imprégner dans nos chairs et nos sens sans avoir la moindre particule d’analyse à l’horizon venant troubler la magie de l’instant. Car soyons clair d’entrée de jeu : la peinture est avant tout une émotion.

Nonobstant, tout ne pouvant être qu’éther il faudra bien se résoudre, une fois passé le frisson, la chair de poule éventée et les poils retombés, se passer une main dans les cheveux, relever ses manches et s’atteler à l’impossible : décrypter l’impensable, justement !

C’est là que Molly Warnock entre en scène. Cette historienne de l’art qui a enseigné à Princeton nous propose plusieurs clés pour approcher l’œuvre en fusion de Simon Hantaï.

Entrons à pas de loup dans cette nouvelle approche d’une œuvre multiple qui fait de son auteur, Simon Hantaï (1922-2008), peintre français d’origine hongroise, l’un des plus originaux et des plus importants de la seconde moitié du XXe siècle. Une réputation qui repose essentiellement sur un corpus d’œuvres réalisées pendant vingt ans (1960-80), les fameux pliages. Il s’agissait de toiles sans châssis, qu’il pliait, froissait ou nouait de diverses manières avant de les peindre. Cela lui a valu de la part des critiques deux remarques principales : avoir su voir et comprendre l’œuvre de Jackson Pollock et s’affranchir de sa marginalité pour s’approprier notamment le concept de support. En cela, pour Jean Clair, il sera un précurseur, celui qui renoncera à toute « composition ».

Simon Hantaï serait alors un surréaliste ouvert ?

C’est bien là l’un des problèmes majeurs que rencontre celui qui veut s’aventurer sur le chemin du commentaire. Hantaï nourrit une relation ambigüe avec le surréalisme ! Si entre décembre 1952 et mars 1955, le jeune trentenaire fut bien un membre actif du cercle qui s’était formé autour d’André Breton, les rapports entre les deux hommes furent tendus, en raison d’un désaccord profond quant à la viabilité des principes surréalistes pour la pratique artistique contemporaine. La manière dont le contexte américain est alors ignoré par les membres du club exaspère Hantaï qui tire sa révérence après la « Démolition ».

Dès l’été 1955, Simon Hantaï s’attaquera à un nouveau procédé pictural fondé sur le raclage qui va le tenir en haleine pendant deux ans. Il s’agissait d’abord de maculer ou d’éclabousser la toile par endroits en y projetant de la peinture aux teintes vives. Après séchage, Hantaï s’attaquait à une peinture négative : à l’aide d’un anneau de métal prélevé sur un vieux réveille-matin, il raclait alors la surface et en retirait des pelures de matière superficielle sombre et révélant ainsi la couche sous-jacente de teinte vive.

S’ouvre une période d’intense création qui va voir les plus belles toiles émerger du néant pour venir illuminer les Hommes. Une expérience particulière que ce vertige passionné que doit provoquer la peinture si elle entend bien « produire l’excès poétique constituant, pour Hantaï et Schuster, l’unique objet de la peinture surréaliste, et qui seul lui permet d’échapper au processus de rationalisation où finit par se perdre toute nouveauté », nous rappelle Molly Warnock.

Suivront Souvenir de l’avenir, des écrits, le Coda, toute une florescence que l’on découvre petit à petit en tournant les pages de ce bel ouvrage richement illustré. Avec comme conclusion : toute peinture qui se veut moderne est précaire en cela que, par sa nature même, elle dépend de quelque chose qui la dépasse.

François Xavier

Molly Warnock, Penser la peinture : Simon Hantaï, 67 illustrations cloueur et N&B, Gallimard, coll. "Art et artistes", avril 2012, 228 p. - 29,00 euros

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