Tous invités à Versailles

Depuis toujours, Versailles ne cesse de concilier les extrêmes qui, en s’harmonisant, en font un endroit unique. De nos jours comme il y a deux siècles, quand les gens ordinaires dans le sillage des princes et des duchesses pouvaient sans crainte d’être refoulé entrer dans l’enceinte du château et apercevoir sinon s’approcher des « grands », le visiteur entre à Versailles, se promène à sa guise, découvre la somptuosité du site, la beauté des jardins, le raffinement des pièces. Cette conciliation des extrêmes se manifeste presque dans un paradoxe, retrouvé nulle part ailleurs, la majesté des équilibres. L’équilibre s’impose comme le principe de la juste mesure poussée jusqu’aux limites. C’est cela qui va séduire l’esprit « d’un homme prévenu à ne rien trouver de bien fait en France », selon les mots de Louis XIV lui-même. Il s’agit d’un artiste complet car il est sculpteur, peintre, architecte, au point d’être surnommé le second Michel-Ange : le Cavalier Bernin. Il arrive à Versailles en 1665, accompagné par Paul Fréart de Chanteloup. Il rencontre Le Nôtre qui lui dit que « toute chose qui a de la proportion est belle ». Il ajoute que Versailles est un palais « proportionné ». Le Cavalier sera séduit et le dira au roi.

A l’aune de cette règle, pendant un siècle, la vie à Versailles dépasse toutes les échelles, en élégance, en courtoisie, en créativité, que ce soit les fêtes, les cérémonies officielles, les uniformes, les chasses, les festins, les jeux, le mobilier et les objets venus des manufactures royales, tout, des « feux d’artifice aux expérimentations aéronautiques » qui eurent lieu à la veille de la Révolution, les ballons s’envolant devant aussi bien devant des ministres que sous les yeux d’une foule immense et émerveillée, acquiert à Versailles une manière de démesure qui n’outrepasse jamais l’excès, par essence disproportionné. Sans parler de la volonté d’esthétique qui atteint des sommets inégalés. Il faudra quatre années, soit de 1676 à 1680, à Charles Le Brun pour décorer l’escalier des Ambassadeurs, « planifié dès 1669, mis en chantier en 1674 ». Versailles est un théâtre magnifique et simple à la fois. Lorsque le roi sortait par le Petit Degré dans la cour de Marbre pour monter en carrosse, « lui parloit qui vouloit et de même en revenant » précise le duc de Saint-Simon. Ainsi, un maréchal-ferrant venu de Salon-de-Provence peut-il avoir en 1697 un tête à tête avec le roi.

 

Les audiences et les réceptions des ambassadeurs, outre la pompe qu’impliquent une étiquette rigoureuse et des usages vestimentaires codifiés, sont l’occasion de créer de véritables chorégraphies. La diversité des nations du monde entre à Versailles, « Perses, Grecs, Arméniens, Moscovites… ». La cour salue un certain exotisme qui apporte une note originale, notamment quand arrivent les émissaires du Siam ou encore les dignitaires de la Sublime Porte, comme on le voit sur un dessin de Charles Nicolas Cochin, (lavis gris, pinceau, vélin, de 1742). Charles Parrocel sur un tableau très coloré rend compte de l’effervescence et du pittoresque que constitue L’Arrivée de Mehemet Effendi, ambassadeur turc, aux Tuileries le 21 mars 1721.  Avec un talent d’un naturel absolu, rapide et détaillé, plein de finesse, Antoine Watteau de son côté représente d’après nature un Persan assis à mi-corps de la suite de l’ambassadeur Mehemet Riza Beg (pierre noire, sanguine, papier beige). Présentés aux membres de la famille royale, les représentants étrangers louent unanimement la qualité et la beauté des tapisseries, de la vaisselle, des dorures, des bijoux, de l’argenterie qui donnent à Versailles son éclat incomparable. Tout tourne autour de la personne du roi, qui « est la meilleure part de Versailles ». Ce qui ne manque pas de susciter des critiques, comme le note un juriste américain, Thomas Shippen, qui tout en s’extasiant devant ce « paradis enchanteur, ces promenades, ces bosquets, ces fontaines », estime néanmoins qu’il est « dans un curieux pays obsédé de luxe et de protocole ».   

Pourtant, la grandeur de cette vaste construction impose un quotidien qui n’est pas toujours des plus faciles. En raison du nombre de personnes gravitant autour du monarque, proches et « enfants légitimés et princes et de sang », l’affectation des appartements « était en permanence un casse-tête pour le gouverneur du château ». Qu’un prince arrive, « même incognito », il faut lui choisir un logement adapté, ce qui veut dire expulser temporairement son occupant, fut-il un éminent aristocrate. 

Les gravures et les planches qui circulaient permettaient de bien connaître Versailles. Pour s’y rendre, quel que soit le moyen, « carrosses, coches, carrioles, charriots et chevaux de bas », et satisfaire à la curiosité, il existait à l’époque des guides publiés par des imprimeurs-libraires spécialisés, auxquels collaboraient des hommes de lettres, des historiens, des géographes. La noblesse européenne incluait Versailles, l’Orangerie, la Ménagerie, le Bassin du Miroir d’Eau dans son Grand Tour. Il y avait même des éditions de contrefaçon, mais, fait incroyable, elles contribuaient encore au rayonnement du lieu ! La plus prestigieuse des résidences royales reste toujours ouverte au plus large des publics !

Rédigé par une trentaine d’auteurs qui chacun partage ses connaissances et en multiplie l’intérêt, cet ouvrage accompagnant l’exposition qui se tient à Versailles, propose un double itinéraire, historique et artistique. Il invite plus que jamais le lecteur à devenir un visiteur accueilli en hôte de marque.   

Dominique Vergnon

Sous la direction de Daniëlle Kisluk-Grosheide et Bertrand Rondot, Visiteurs de Versailles, voyageurs, princes, ambassadeurs, 1682-1789, 22 x 28,5 cm, 280 illustrations, Gallimard, en coédition avec le château de Versailles, novembre 2017, 336 pages, 45 euros.

 

www.chateauversailles.fr; jusqu’au 25 février 2018

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.