L’affirmation solaire de Jean-Pierre Siméon

Face au monde, et plus particulièrement celui-ci, désormais condamné, agonisant dans la déliquescence programmée, le poète est seul, démuni, n’ayant que son langage en bandoulière et son stylo pour tirer quelques coups de semonce ou tenter de faire pleuvoir en arrosant les nuages de ses trilles, oralité subjuguée dans l’effacement des ombres, libérant quelques espaces de ciel bleu pour que le soleil nourrisse nos peaux irradiées…

Pour cela le doute n’est pas permis, il faut une poésie de la ferveur qui nomme sans scander, qui peint sans éblouir. Il faut une confiance en soi, en son art… à l’instar de Mandelstam dans La main de l’acméisme, qui construit, lui aussi, donc qui a raison quelque part, car en "poésie, le sentiment d’avoir raison nous est précieux plus que tout autre"…

La technique du verset sera à son service pour nous donner à lire des poèmes d’une grande limpidité, porteur d’une émotion à fleur de ligne qui conduit à une chair de poule au fil des pages tournées. Lecture salvatrice qui nous enlève le poids des malheurs du temps : ce qu’il nous faut, assène Jean-Pierre Siméon, c’est ce souffle qui passe / comme un papillon dans les flammes.
Sorte de maxime qui confirme que le poème a raison, qu’il est dans le vrai, touche au plus juste cette blessure qui brûle dans nos ventres.

Le poème est-il violence ? Sans doute, d’une certaine manière, puisqu’il faut bien agir de sorte à réveiller ces moutons qui dorment devant leurs écrans, gobent les médias-mensonges qui justifient l’immonde politique qui gouverne la cité. Oui, le poète est aussi un guerrier qui n’est pas que le témoin d’une Histoire qui le dépasse. Il chronique également l’émoi des Hommes et quelle joie que ces passages aux amants consacrés…

Les amants quand ils dorment
leur bouche embrasse la chair des songes
.

Y a-t-il une leçon d’amour à retenir ? Quelque piste à suivre ?
Ou simplement à revenir au sens premier qu’aimer veut dire…

Les amants,
dans leur chambre
amassent les plumes du soleil
et luttent avec le jour.


Le pouvoir de l’amour est ontologique, les corps paravents de la grâce dans la beauté affichée d’une union sous le sourire des dieux. C’est là sa force, sa puissance indépendante et sa totale victoire sur les courants négatifs qui tentent de détourner l’âme humaine en la précipitant plus vite vers la mort au lieu de lui offrir de multiples stations dans ce chemin de croix qui n’est pas toujours rectiligne, à dessein, sur la carte du Tendre que l’on aura déchirée trop rapidement dès le premier désarroi survenu.

Races des vivants, ô pillards des clartés disparues
il est grand temps
d’habiter la nuit entière
pour d’inséparables baisers.


Assoiffé le poète, d’amour et de désir, de désir et de vie pour dévorer le rapport au réel, se brancher en prise directe avec la fraîcheur d’un autre univers prêt à se donner si l’on débusque le bon chemin. Mais le lapin aux multiples montres – et toujours en retard – aura beau jeu de détourner notre attention de l’essentiel. Au poète de nous remettre dans le droit chemin.

À commencer par ne plus regarder seulement au-delà des horizons dans la culpabilité occidentale et caricaturale qui se traduit par trop de guerres inutiles et d’accueil illusoire, mais à admettre la noirceur qui ronge nos rues et porter notre salut envers nos pairs, d’abord, de toute urgence.

Mais cette guerre en nous toujours inachevée
quand on croise un mendiant
qui mendie plus que la moitié de lui-même,
hésitant entre les flaques du trottoir hésitant
entre mourir et jeter l’âme dans les flaques,
ce besoin qui vient de regarder en face
et d’aussitôt effacer le visage au miroir,
cette guerre comme un torrent charriant ses pierres
au cœur des chambres et de l’oubli,
dévastant le sommeil chaud du cœur,
cette guerre qui nous laisse,
mendiants à notre tour,
entre les objets de la misère, mains nues, front usé,
et la durée où se reprendre, le chant continu du monde,
cette guerre
– qu’on en soit fou ou la victime –
par quoi ne se peuvent rouiller ni l’aube
ni la mécanique des armes,
et par quoi sont gagnés nos journées,
nos sourires les plus doux,
cette guerre pourtant
comme un poing dans la gorge.


C’est bien le corps qui a toujours le dernier mot, parfois trop généreux dans ses délires dionysiaques voire sa clairvoyance inspirée. Le corps toujours qui pousse la plume sur la page blanche à endiguer la vague pour conduire le poème vers sa raison d’être. Une écriture au plus juste, ciselant les choses de la vie, incarnant la constance qui coule de cette poésie fraîche et musicale.

Jean-Pierre Siméon porteur d’un gai-savoir à compter d’une acceptation : pas de victoire hors des jours périssables. Clin d’œil complice que ne refusera pas Milan Kundera dont l’idée centrale de l’œuvre tourne autour de cette extraordinaire légèreté intempestive de l’être, contrepoint au néant qui nous aspire, arme indispensable pour établir une distance où le pas sonne juste et où l’Homme a loisir de s’établir, laissant toute chose aller naturellement vers son point obscur.

Toute vie – et surtout pour un poète – s’accomplit dans une même unité de lieu et de temps, celle définit par les amants, invoquant l’essence du poème : parler aux vivants du vivant. Ainsi sont oubliées les larmes légitimes car les yeux des amants ne sont pas faits / pour scruter la chute / mais pour (se) reconnaître / l’un et l’autre semblables / semblablement réels et ardents / dans le vide.

 

François Xavier

 

Jean-Pierre Siméon, Lettre à la femme aimée au sujet de la mort – et autres poèmes, préface de Jean-Marie Barnaud, Poésie/Gallimard n°526, novembre 2017, 224 p. – 6,20 €

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