Roland Dubillard, artiste littéraire complet

En voilà un qui mettait en peine les journalistes enclins aux raccourcis car comment le définir, tenter de le présenter, ce diable de génial écrivain à la fois auteur dramatique, poète et scénariste… mais aussi, crime de lèse-majesté, acteur ! Comment ? Il ose être des deux côtés à la fois ?
Manifestement Roland Dubillard (1923-2011) n’avait aucune estime pour les étiquettes et son plus vif plaisir était de tout essayer, comme l’enfant qui était resté tapi en lui, nous laissant une œuvre multiple : théâtre, poésie, nouvelle, fable récit, méditation, pièce en vers, pièce pour enfants, chanson, cinéma.

Je fais collection de moi, pour les amateurs, s’amusait-il à dire.
Et quels "mois" : 59 boites sont désormais conservées à l’IMEC dans lesquelles dorment quelques textes inédits. Autant dire que le colloque international d’avril 2015 aura une suite…
Car ne vous y trompez pas, Roland Dubillard n’a pas fait feu de tout bois dans une série d'actes irréfléchis, bien au contraire ! Il y a une colonne vertébrale à cette œuvre, un sens. C’est un artiste opiniâtre, un travailleur de l’ombre dont les objets littéraires ne voient le jour qu’après une longue réflexion, qui n’empêche ni l’humour ni la créativité verbale.


C’est là tout l’intérêt de ce numéro d’Europe qui balaie l’ensemble des diverses strates de l’œuvre protéiforme de cet artiste "acteur de son propre rôle, personnage vrai, poète créateur de mythe".

 

Blâme

On a tant étiré ce ressort
Qu’à la limite, il est redevenu cela : une chose parmi mes choses.
Un ressort en retrait.
Inerte et sans ressort.
Il ne trahira plus les vrilles de la vigne.

 

Décortiquant le monde vacillant, le poète transgenre – récitatif, philosophe, polémiste, etc. – distille sa musique de chambre au-delà de l’épuisement qui le saisit, s’efforçant de regarder avec attention le marchepied qui lui permettra de continuer son chemin. Par-dessus son épaule, un regard lancé en coin, pour s’assurer que Jiminy Cricket est bien présent, à lui chuchoter dans le pavillon l’énergie qui permet de ne pas sombrer…

Quel destin, quel amour ? pour un Homme ; autant de questions dont personne n’a la réponse, mais que Roland Dubillard malaxe jusqu’à torturer la langue pour l’obliger à rendre le meilleur d’elle-même, créant cette boîte à outils fantastiques – à l’instar d’un Christian Jaccard qui noue ses improbables outils détournés – entreprise spirituelle qui vise à déconstruire un code imposé pour mieux rebâtir une utopie.

 

Je reste, mesuré, dans ma demi-mesure,
par ton regard noir, par l’oubli-la mémoire,
par le noir, noir par moi comme par ma moitié.
Ma moitié mange en moi moi mon autre moitié.
Je suis debout dans le crépuscule-encrier,
face à gauche mon œuf et mon vœu face à droite,
face au milieu pareil au miroir des pirouettes,
face à mon double et ma moitié
[…].

Un recueil de poèmes et une série d’études érudites pour mieux tenter de cerner les mille facettes de cet artiste complet, vertige de la littérature !

François Xavier

Roland Dubillard, Je dirai que je suis tombé suivi de La boîte à outils, Poésie/Gallimard n°528, janvier 2018, 352 p. –, 8,20 €

Europe, Roland Dubillard/Artur Adamov, 96e année — n° 1065-1066 / janvier-février 2018, 380 p. 20 €

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