Hével : voir en face les détails de l’Histoire

Le détail, tout est là. Le détail. L’infime fêlure sur le vase, la minuscule fissure dans le mur en disent mille fois plus que ce que vous glanez entre deux coups d’œil à cette saleté de téléphone que vous ne cessez de lorgner à la dérobée.
Imbécile !


Oui, le détail, du lynx qui guide les fuyards dans le brouillard vers la Suisse aux chansons que la belle tenancière écoute entre deux clients, ce détail qui va déterminer si l’action prévaut à la réflexion, si le reptile qui dort en nous doit se réveiller ou demeurer endormi sous les couches d’éducation.
Nous sommes à une période charnière de l’histoire de France : l’année 1958 débute mal, la guerre d’Algérie est dans sa phase la plus violente, le 8 février le raid de l’aviation française en Tunisie ébranle le gouvernement, les grèves des ouvriers algériens succèdent aux grèves des ouvriers français… l'ombre du Général (qui reviendra au pouvoir le 17 juin) plane sur les dérives du gouvernement à l'agonie.

Et dans ce chaos, Gus et André sillonnent à bord d’un Citron les routes du Jura pour transporter du fret et tenter de ne pas faire faillite. Puis surviendra une altercation, un coup de surin, un passager clandestin, une désertion, un désir impossible, une tasse de thé, des regards, des intentions, des obligations, des révélations…

Il faut dire que le narrateur se régale : ermite depuis des décennies, la venue de cet écrivain venu lui tirer les vers du nez le met en joie, il digresse, raconte l’histoire de la petite histoire dans l’Histoire, repeint les ambiances, réajuste les paysages. Lyrique et pince-sans-rire, il nous fait tourner en rond pour notre plus grand plaisir. Car, après tout, nous ne sommes pas pressé ; le récit peut prendre son temps. D’autant qu’avec ce qu’il avoue, il faut savoir prendre des pincettes. Un mort reste un mort, un meurtre demeure toujours sur la conscience…

Absurde la vie ?
Si seulement il y avait un sens à glaner quelque part, une once de lumière pour donner une direction autre que les courses stériles que les diktats communautaires et sociétaux imposent à longueur de temps. Comme le narrateur, alors, se retirer du monde, cultiver son jardin dans un monastère – sans oublier que la quête de Dieu débouche sur la rencontre de nos propres démons – à l’abri des furies quotidiennes car tout est hével / Voilà, tout est vain et poursuite du vent / Rien ne reste sous le soleil, dit l’Ecclésiaste.
Amen.

François Xavier

Patrick Pécherot, Hével, Gallimard, coll. "Série noire", mars 2018, 210 p. – 18 €

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