Frédéric Bazille, une trop brève lumière

Que serait devenue sa carrière de peintre, déjà magnifique, si la mort ne l’avait pas fauché, le 28 novembre 1870 ? Lors de la guerre entre la France et la Prusse, à la suite de son engagement volontaire dans un régiment de zouave, deux balles le touchent. Ironie de l’histoire, "il agonise de longues heures face au château qu’avait représenté Corot".
Vaine question donc, car avec ses quelques soixante-dix tableaux – il est possible que l’on en découvre encore d’autres – les preuves de son talent sont assez manifestes pour penser qu’il aurait continué à emporter tous les suffrages.

Né à Montpellier en 1821 dans une famille de bourgeois fort aisés, il se situe comme à la croisée des grands mouvements du moment. Sa peinture répond aux canon toujours classiques, elle est déjà moderne et proche de l’impressionnisme, elle est expressive, lumineuse, cadrée de loin et parfaitement construite lorsqu’il compose la grande toile de 1867 Réunion de famille et serrée de près comme le montre le portrait de son ami Edmond Maître, exécuté l’année suivante, où chaque détail contribue à assurer au visage une vérité psychologique traduisant le milieu d’appartenance de l’homme qui pose, lisant.

 

Arrivé à Paris, devant poursuivre ses études pour être médecin, il suit néanmoins les cours du peintre suisse Charles Gleyre 1806-1874), professeur à l’Ecole des Beaux-Arts. Trois autres élèves sont là, et non des moindres puisqu’il s’agit de Renoir, Sisley et Monet. De la forêt de Fontainebleau à la Normandie et au Languedoc, tous les motifs offerts par la nature observée et interprétée de près lui permettent de révéler ses capacité de peintre qui s’élargissent à tous les genres, paysage, natures mortes, scènes extérieures où le soleil commande les contrastes et scènes d’intérieur où les modelés les atténuent.

C’est justement dans son atelier de la rue de La Condamine que Bazille,  dominant la pièce du fait de sa haute taille, réunit, outre Maître jouant du piano, rappel de son goût pour la musique, ses amis Renoir et Monet (ou Sisley, selon les avis) autour du célèbre Manet, rencontre mémorable si l’on peut dire, qui donne lieu à un tableau à la fois précis dans les objets qui meublent la pièce, rigoureux dans son équilibre, vivant et chaleureux dans ses attitudes. Il y a à nouveau ce que l’on retrouve chez lui, au fil des brèves années de son existence, réparties et dosées selon les sujets, la mesure associée à l’exubérance, la retenue autorisant la liberté de la touche, une sensualité parfois qui se livre dans ses nus.

 

Créé en 1828, rénové en 2007, le musée Fabre de Montpellier est renommé pour la richesse de sa collection, que ce soit en tableaux, gravures, sculptures, dessins. On vient au musée pour admirer les anciens maîtres. On vient aussi et de plus en plus pour voir Bazille, quand on a découvert son œuvre. Cet ouvrage dont l'auteur, conservateur général du patrimoine a mené la restauration du musée, se propose d’être le guide qui introduit le peintre, relate avec beaucoup de données souvent oubliées ou peu connues le parcours de sa vie, présente avec beaucoup de soins 18 huiles sur toile, trois dessins (au crayon noir et graphite), une eau-forte.
On voit comment la main travaille, ici affine minutieusement les plumes (Nature morte au héron) ou les fleurs (Jeune femme aux pivoines), là brosse rapidement Deux harengs. On peut contempler une de ses ultimes prouesses, Ruth et Booz, "œuvre inclassable" mêlant "le classicisme et le naturalisme », dans laquelle, suivant le texte de Victor Hugo, Bazille peint la « faucille d’or dans le champ des étoiles".

Exposé au Salon de 1868, le tableau Réunion de famille, où nous avons  presque une hiérarchie sociale devant ces dix personnages, "témoigne d’un vif amour de la vérité. Les personnages sont groupés sur une terrasse, dans l’ombre adoucie d’un arbre. Chaque physionomie est étudiée avec un soin extrême, chaque figure a l’allure qui lui est propre. On voit que le peintre aime son temps, comme Claude Monet, et qu’il pense qu’on peut être un artiste en peignant une redingote. Il y a un groupe charmant dans la toile, le groupe formé par les deux jeunes filles assises au bord de la terrasse".
Ces mots, élogieux sous sa plume, sont de Zola (Mon Salon - Les Actualistes, 24 mai 1868).
Pourtant, Frédéric Bazille avait annoncé à ses parents qu’il pensait que le jury refuserait son tableau…

 

Dominique Vergnon

 

Michel Hilaire, Les Bazille du musée Fabre, 195 x 255, 60 illustrations, Gallimard, mai 2018, 56 p.-, 25 euros.

 

 

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