Laurence Cossé sauve l’humanité

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il était de coutume de dire que celui qui avait sauvé un Juif, ne serait-ce qu’un seul, avait sauvé l’humanité. Une manière de rappeler, comme le fit Michel Warschawski dans Sur la frontière, que s’attaquer à un Juif pour le simple fait qu’il soit juif, est un crime contre l’humanité – et quelque soit l’orientation politique ou le courant religieux auquel il adhère… Ainsi il en va de notre destinée malgré l’absence de sens à ce quotidien qui nous dépasse ; ainsi il en est de certains héros qui rachètent les pires atrocités de leurs pairs, qu’ils soient des Hommes ou des sociétés civiles. Et Laurence Cossé de nous rappeler – petit détail bien utile en ces temps de raccourcis historiques – que la Suisse fut impitoyable avec les réfugiés juifs qui tentaient de franchir sa frontière, les renvoyant de l’autre côté, voire, en cas de récidive, les livrant directement aux nazis… et l’on continue toujours à hurler au seul antisémitisme de la Pologne : c’est si facile de n’avoir qu’un seul bouc-émissaire, et puis les banques polonaises ne font pas le poids…

Sauver l’humanité peut aussi se concrétiser par un amour idéalisé pour une jeune fille… qui n’est pas celle dont on croit percevoir les états d’âme. Robin, en cette année 1936, se laissera conduire sur l’autel du sacrifice sous l’œil complice – mais protecteur – de Conrad, son camarade de prépa qui, à la manière de l’art de la pêche au gros, laisse suffisamment de mou pour ne pas avoir l’air d’interférer tout en conduisant la manœuvre. Il faut avouer, à la décharge de Robin, que cet établissement de jésuites qui prépare aux grandes écoles n’a rien de plaisant et que l’amitié de Conrad, enfant mystérieux aux parents trop riches, séparés – sa mère en Italie, son père à Genève – est la bouée protectrice qui lui permet de subir l’énorme charge de travail sans couler…

Entre une famille étouffante aux multiples ramages qui vit en copropriété sur deux étages et une timidité presque chronique qui le rend invisible aux yeux des jeunes filles, l’apparition de cette Clarie dans un hôtel de Val d’Isère, la station de ski naissante qui attire déjà les grands bourgeois parisiens, va ébranler Robin jusqu’à ce que survienne le drame. Malgré les révélations de Conrad il n’aura de cesse de s’imaginer ce qu’il aurait pu advenir de leur relation, de cet amour naissant qui l’aurait conduit à demander sa main, et ainsi à la sauver, elle aussi, d’un avenir de courtisane… Victime collatérale, Conrad aura à cœur de combattre l’immonde police des frontières suisses et offrira son sacrifice à l’aune d’une énième traversée à la rame entre Evian et Lausanne.

Picaresque – la vie des montagnards de la Maurienne est finement décrite – et sociétal, ce court roman initiatique offre des perspectives d’association qui renvoient à cette croisée des chemins qui dépose devant nous, un jour l’autre, un être incroyable. De cet instant illusoire, nous construisons un conte majeur qui embrasera notre vie, ou passons à côté sans même nous en rendre compte… Pour illuminer notre destin, il convient de ralentir, à l’image de ses skieurs qu’un téléski ne déposait pas en haut des pistes, mais dont seule la performance à la montée en peaux de phoque, offrait une récompense extraordinaire dans une descente vertigineuse… ou la mort dans une avalanche.

François Xavier

Laurence Cossé, Nuit sur la neige, Gallimard, août 2018, 142 p. – 13,50 €

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