La grande idée littéraire d’Anton Beraber

Chaque décennie révèle son petit génie : il y eut Marien Defalvard en 2011 – Du temps qu'on existait écrit entre 2007 et 2010 demeura sans suite, une certaine lucidité l’ayant frappé il continua son parcours par la poésie, ayant sans doute tout écrit en un seul roman ; plus tôt Amélie Nothomb avec son Hygiène de l’assassin – qui fut hélas son unique et seule œuvre littéraire, le reste découlant du divertissement ; on espère donc qu’Anton Beraber ira au moins jusqu’à quatre, comme Michel Butor qui engloba tout le romanesque possible dans la quadrature d’un cercle littéraire dont on s’amusera, ici, à repérer quelques ambiances par la manière dont l’auteur se joue des situations, ellipses, temps, décalages, mises en abyme, en totale décalage avec une réalité supposée.

Par la magie de cette quête impossible qu’un universitaire tente de mener à la poursuite du mythique Saul Kaloyannis qu’il aimerait bien rendre un peu plus réel, vivant, pour nourrir sa thèse, quand il s’enfonce, au contraire, dans une épopée nuageuse, féérique, guerrière et obscène, le lecteur savoure, jubile, écoute cette petite musique aux grands éclats. Les témoignages se contredisent, les époques fuient le calendrier, les décors s’inversent pour mieux nous emporter dans un monde incroyable.

Nous buvions la tisane sur la fenêtre, en écoutant les ardoises du toit rendre, sous l’eau qui les bombardait, toutes des sons différents, comme un instrument primitif, et tomber parfois dans la cour où elles éclataient en milliers d’aiguilles noires ; on croyait trouver, le lendemain, les restes d’un oiseau de jais dévoré dans la nuit.

Par la force d’une écriture nouvelle, la profusion d’images enchâssées dans une trame narrative interactive où laudateur et enquêteur interprètent une pièce surréaliste, la poésie dépeint des univers révélateurs d’un caractère. Et si Kaloyannis était un ange, mais un ange noir, descendu pour une mission bien précise – comme le Damiel des Ailes du désir qui s’incarne par amour – et qu’il se soit affranchit, lui aussi, une fois celle-ci accomplie pour s’offrir une autre vie, succomber à la tentation, tester cette alternative illusoire d’un ailleurs possible si jamais l’on brise le cercle vertueux et que l’on s’offre une aventure, à la manière du héros de Yannick Haenel
Dans cette Grèce conquérante – qui finira par découvrir que sa belle idée est en réalité une utopie qui virera au cauchemar – on débute le récit par la débâcle de Smyrne dans un panorama narratif aux confins de la Crète d'un Kazantzakis qui sut peindre magistralement son île rebelle… pour continuer cinquante ans plus tard dans la Grèce des colonels puis sur les rives du nouveau monde.

Les hommes du désert sont arrivés, drapés comme des princes dans leurs couvertures grossières, dans les plis desquelles les ombres de la nuit finissante fuyaient le pâlissement de leur empire.

On se gardera bien de vous en dire plus, la jouissance de cette lecture participe aussi de la découverte, une manière de suspense chimérique qui nous conduit sur l’autel du sacrifice : oubliez tous vos repères et offrez-vous, nu, à la tornade qui vous happera le temps d’une lecture pour vous relâcher après mille émotions dans un état proche de l’extase.
Voici donc une voie nouvelle en terre littéraire tracée par un jeune trentenaire, un ouragan bienfaiteur d’air pur que les nombreuses contrefaçons imposées depuis des années nous avaient privés. Du plaisir vif.

François Xavier

Anton Beraber, La grande idée, Gallimard, août 2018, 572 p. 22 €

Le prix Transfuge du meilleur Premier roman 2018 a été attribué le 30 août à Anton Beraber.

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