Mémoires de guerre

Le 7 novembre 1918, dans les campagnes de l’Aisne, pour la première fois un clairon sonne le cessez le feu. Le nom du caporal Pierre Sellier devient célèbre. L’Armistice entrera officiellement en vigueur quatre jours plus tard. La Grande Guerre est finie. Elle laisse huit millions de morts, presqu’autant de mutilés. Au cours du conflit puis après, de nombreux écrivains ont évoqué « les erreurs et les horreurs » de ces années de boue et de sang. Leurs noms sont connus, de Roland Dorgelès à Erich Maria Remarque, d’Henri Barbusse à Ernest Hemingway, d’Apollinaire à Stefan Zweig, ils ont relaté et partagé leurs combats, leurs émotions, leurs souvenirs, les blessures et les déchirures. Beaucoup d’inconnus auraient pu également raconter les récits de leurs pères et grands-pères qui vécurent l’affrontement dans leur quotidien et qu’ils écoutaient le soir.

Cent ans plus tard, si le drame de 14-18 ne peut à l’évidence se revivre dans la chair, du moins peut-on le garder en tête, en parler et le convoquer, comprendre les résonances qu’il laisse en chacun, les décrire, en souffrir peut-être encore. Ses échos sont universels, chacun est à même de les entendre. Ils retentissent durablement, se prolongent, irriguent les mémoires. La guerre marque à jamais. C’est ce qu’écrit dans une lettre émouvante « à son petit Ferdinand » Carole Martinez : « J’aurai vécu plus longtemps que cette guerre ».

 

Venus de différents horizons, 31 auteurs qui n’ont pas été directement témoins des événements mais ressentent en eux leurs conséquences se mettent dans les pas de leurs aînés. Ils rapportent des faits ou en inventent, recomposent des histoires, se souviennent des images de L’Illustration comme Roger Grenier les regardait enfant. Ils les rattachent à leurs racines qui sont africaines pour Scholastique Mukasonga, ou japonaises avec Akira Mizubayashi, qui note justement que quelques minutes avant que sonnent les notes claires et vibrantes du clairon de la paix, un dernier soldat, Augustin Trébuchon, venait de mourir au moment même où il « allait annoncer à ses camarades qu’une bonne soupe chaude leur serait distribuée après le cessez-le-feu ».
Un corps réduit soudain à son ombre, à l’instar de celles que la bombe d’Hiroshima imprima sur les ruines de la ville. Ce sont ces mêmes ombres qu’Iri et Toshi Maruki ont fixées en 1950 pour la postérité sur ces vastes panneaux où les morts deviennent des fantômes.

Les jours de la guerre visible dans les lettres échangées se revivent au long des dates du calendrier qu’égrène Alix de Saint-André, à la fois menus morceaux d’existence et aventures élargies aux dimensions d’une Europe soumise au hasard des décisions des états-majors. « Mais quelle grande chose qu’un champ de bataille et comme c’est terrible également. Ici ce n’est pas comme dans les tranchées où, tout en se mesurant, chacun cherche à se cacher. C’est la lutte en plein jour ».
Face à face dans ces tranchées, il y a les soldats français, britanniques, allemands, belges. Stefan Hertmans, Anna Hope, Durs Grünbein aux côtés de Danielle Sallenave, Anna Moï et de Marie Nimier nous parlent de la Flandre où la « Première Guerre mondiale est bien ancrée dans notre ADN collectif et individuel », d’instants familiaux entre Manchester et Compiègne, de ces citoyens devenus par l’inconséquence des hommes « un ustensile ordinaire aux mains de l’Etat » tandis que Velibor Čolić rappelle que la guerre qui « a transformé nos grands-mères en veuves » commença à Sarajevo.

Autant de textes qui se recoupent, se complètent, apportent de loin des réminiscences parfois comiques, parfois tragiques. Pages au style inégal, certaines banales, d’autres éloquentes, certaines assez convenues et d’autres ayant un relief et une originalité à saluer. Une cinquantaine de gravures, d’aquarelles, d’eaux fortes signées Otto Dix, Vallotton, Fernand Léger, Dunoyer de Segonzac, Rouault, Ossip Zadkine s’intercalent et illustrent ces pages. Contrastes de noirs, de couleurs, de silhouettes qui luttent contre la mitraille et de drapeaux qui claquent au vent de la victoire. Les titres de ces œuvres pour beaucoup à découvrir renvoient aux mots. On passe des héros aux invalides. Tableaux suggestifs qui valorisent les textes sans les recouvrir ou les résumer précise avec raison Marine Branland qui a sélectionné avec finesse ces reproductions. Bien conçu, parfaitement présenté, ce livre a une espèce de grandeur qui rend hommage à ceux dont les noms sont gravés sur la pierre. La sobriété des monuments.  

 

Dominique Vergnon

 

Jean-Marie Laclavetine, (sous la coordination de), Armistice, 52 illustrations, 250 x 280, Gallimard, Coll. "Blanche", octobre 2018, 304 p.-, 35 euros.

                                                                                                                    

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