Jacques Réda : physique encore

Les cinq tomes de La physique amusante me font tomber de sommeil. C’est sans doute de ma part une déformation psychique : la chimie  de tels livres possède dans mon mental un impact narcoleptique et c'est donc une de ses limites.
Jacques Réda fait pourtant tout pour rendre la poésie et sa science impertinentes. Il a soin de nous appâter en Zapata ou Zavatta du verbe mais c'est peut-être son talon d'Achille  : "Ce livre ne propose aucune théorie./ Son auteur n'est pas un savant, /Juste un homme incertain qui cherche, inventorie, / Dans un territoire mourant, / Ses raisons d'être au sein de cette confrérie".
Reda se veut modeste bien que tout dans la physique de l’univers l’intéresse - de la mécanique du ciel jusqu’aux mystères bactériologiques.

Passionné par le plein comme le vide, entre ordre et désordre, sa poésie vaque. Néanmoins sous le costume du dilettante l'humour n'est pas traité comme une fin mais une feinte, un accident. Et c'est là le problème. Ce voulant pare-fumée ou justifications d'usage : il met le livre entre deux pôles magnétiques fluctuants. Le sérieux disparaît car Réda feint de la cacher. Mais sous une apparence légère, primesautière tout penche afin que  la pensée prenne la forme du jour ou du grand soir.
Bref l'humour est un tissu si fin qu’on voit au travers mais de manière plus ou moins opaque. Il est retourné, séparée de lui même. Et le sérieux n'offre pas pour autant une présence capable d'interroger le temps et ses états de catastrophes physiques. Aucune mythogie nouvelle pour tenir face au chaos.

Certes pour Réda, le Où va-t-on ? de cette physique ne  supporterait pas en apparence d'être déplacée vers une métaphysique. L’auteur se veut matérialiste Néanmoins il  prétend se situer plus bas qu'il feint de l'être voire de le supporter. Certes il existe une forme d'originalité en une telle approche mais la dé-monstration  tourne à  une feinte de sécession.

Le mot "physique" dépasse d'ailleurs ce qu'on entend par là tant l'auteur en fait un étrange usage. Sa thématique ouvre à un malentendu et à d'innocentes perfidies. Sans doute parce que les rapports de la science et de la poésie  ne sont jamais simples. Mais Réda biaise le souffle transversal qu'il produit dans une sorte d'appel moins au réel qu'à l'absolu.

L'état de tension que la poésie propose reste donc plus incongrue qu'impertinentes. Et si une telle entreprise veut sortir le genre de son écrins, de telles entrées en matière plutôt que dénuder le réel créent un naturalisme docte. Un tel système poétique ne déborde par la fatrasie du genre. Réda est sans doute un grand poète mais un poète bien plus classique qu'il n'y paraît.

En éliminant des formes de perversions mimétiques ou libidinales – il en ramène d'autres là où en plus beau gars du monde le magnétisme physique fait ce qu'il peut. Mais la dynamique de ses fluides devient l'obstacle à la propagation que l'œuvre tente de programmer. Certes existe une réflexion sur le réel et son sens. Toutefois la mise à mal de la raison et de la rêverie manque de principe actif même s'il existe là un travail poétique indéniable et pertinent qu’il serait vain de contester.

Jean-Paul Gavard-Perret

Jacques Réda, Rythme, chaos, mythologies - La Physique amusante V, Gallimard, coll. Blanche, novembre 2018, 20 €
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