Egon Schiele chez Vuitton

Et s’il n’existait pas d’art moderne mais plutôt un art, qui est éternel, se questionnait Egon Schiele, et Bernard Arnault de confirmer, en quelque sorte, en programmant simultanément deux expositions : Basquiat et Schiele. Deux mondes qui s’opposent dans leur approche, deux tournants de l’histoire de l’art : l’autrichien s’érige aux frontières de l’avant-garde du début du siècle quand l’américain graffe et fait jaillir l’art de la rue sur les cimaises des grandes galeries.
Et tous deux moururent très jeunes…

La Fondation Vuitton possède une sorte de bible, un manifeste qui lui impose une ligne directrice : contemplation, musique, pop-art et carte blanche à la vision éruptive d’un artiste, à sa manière de s’exprimer dans sa plus forte subjectivité d’homme de l’art… Ainsi s’articule cette grande rétrospective autour de Egon Schiele et la publication de cette monographie qui s’inscrit dans la grande Histoire de l’art, car le peintre autrichien est un phénomène : voilà un jeune homme rétif à tout académisme, osant traiter de front, non sans un certain narcissisme – ah, ses séries d’autoportraits ! – tout à la fois de la sexualité – il fera d’ailleurs vingt-quatre jours de prisons pour outrage aux bonnes mœurs – et de la mort, démontrant aux historiens qu’il est un grand peintre, puisqu’un peintre de figures.
Portraits et autoportraits sont ici même au cœur de tout le dispositif qui tend à présenter Egon Schiele dans toute sa force ; même si une sélection de paysages et de natures mortes ponctuent les avancées techniques et les choix de l’artiste.

Carrière fulgurante que celle d’Egon Schiele, de sa majorité en 1908 à sa disparition en 1918, vaincu par la grippe espagnole. Exposition dense, donc, d’autant qu’il faut laisser au vestiaire les souvenirs véhiculés par le détournement publicitaire contemporain, et se plonger dans l’œuvre. Ce que l’admirable catalogue offre avec de très belles représentations et des essais de grands historiens de l’art – Jean Clair, Alessandra Comini et Jane Kallir – qui ouvrent l’accès de belles manières.
 

Débutant, le jeune Egon Schiele ne possède qu’un trait ornemental et subit l’influence de Klimt – qui demeurera à tous égards la tutelle et la grande référence de l’artiste. Puis le caractère s’affirmant, le trait prend des libertés, il se tord, casse les lignes, l’élan expressionniste emporte tout sur son passage !
Passée la tempête sous le crâne échauffée par le beau sexe, Egon Schiele revient à une forme plus équilibrée qui traduit son angoisse et la peur d’une guerre possible : nous sommes en 1912. Le temps faisant, l’artiste recouvrira un certain modelé… mais l’aspect existentiel est inscrit à chaque tableau, les métaphores s’invitent dans le contour de l’œuvre, non sans une certaine porosité entre le peintre et sa propre vie : ses modèles, la démence de son père, son refus d’une carrière balisée, ses amours diverses, la prison, le pressentiment de la guerre.

La peinture d’Egon Schiele se déploie autour d’une ligne torturée qui inquiète, de couleurs sombres ou violentes – et ce rouge sur la peau de ces nus, de dos, qui font penser à Soutine et ses pièces de viande. Le regardeur ne peut qu’être inquiet face à certaines toiles, surtout s’il les replace dans leur époque : cette manière d’aborder la sexualité, la nudité, avec ce regard pimenté de lucidité et d’effroi.

J’arriverai à un point où l’on sera effrayé par la grandeur de chacune de mes œuvres vivantes.

Dix ans qui firent tout, ou presque, oui, à l’échelle du siècle, la décennie viennoise est l’une des plus longues : l’effervescence de la pensée et de la création débouchèrent sur des bouleversements culturels qui furent décisifs dans l’histoire de l’art. 1906, Egon Schiele entre à l’Académie de Vienne tandis qu’en France les fauves et les expressionnistes ont déjà marqué les esprits. 1911, Kandinsky se libère du figuratif et ose les premières aquarelles abstraites. L’avant-garde étend sa toile sur toute l’Europe…

François Xavier

Dieter Buchhart (sous la direction de), Egon Schiele, 210 illustrations, 240 x 320, Gallimard, octobre 2018, 224 p. -, 35 €
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