Christian Lacroix s’empare de la Princesse de Clèves

On sait Antoine Gallimard collectionneur d’œuvres d’art, et plus particulièrement de tableaux (un très beau Pascin trône dans son bureau, notamment) si bien que l’idée d’inviter l’ancien couturier Christian Lacroix a revisiter le mythe de la princesse de Clèves paraît cohérent. Les esprits malins s’amuseront à ressortir la célèbre phrase de Sarkozy en 2008, qu’ils pourront mettre aussi en miroir de ce qu’en pense Marie Darrieussecq qui analysa la réception de l’œuvre au fil des siècles, d’invraisemblable à charmant puis immoral et enfin idiot, voire un livre à ne plus jamais toucher…
Quoique.

Mais quel texte peut-il être ainsi banni ? Aucun, cela va sans dire, et quoi de plus intéressant que de rapprocher les époques par le jeu des formes et des couleurs ?
S’appuyer sur la notoriété d’un artiste pour repositionner un texte vilipendé et lui redonner une virginité, une place neutre et propre dans le panorama, laissant au lecteur le plaisir de la (re)découverte, porté par la puissance des illustrations…

La Princesse de Clèves parut en mai 1678 chez Claude Barbin, sans aucune précision sur l’auteur ; il faut dire que le dix-septième siècle n’était pas tendre avec les gens de plume. Si madame de Lafayette endossa plus d’un siècle plus tard la paternité à titre posthume, en 1780, on peut logiquement se poser la question des tiers. Il est plus que probable que certains visiteurs – et pas que du soir – portèrent un regard aimable, aidant et agirent pour corriger, écrire, ici ou là, quelques pièces du dossier ; ainsi il ne serait pas totalement ridicule d’avancer l’idée que monsieur de la Rochefoucauld participa à l’aventure, aux côtés du sieur Segrais et du théoricien Huet, le tout sous le regard protecteur de madame de Sévigné, amie intime de madame de Lafayette… Quoiqu’il en soit, l’œuvre est devenue un tel classique qu’elle préfigure tout parcours classique dans l’apprentissage des Lettres.
 

Le problème de La Princesse de Clèves relève du sujet – que ses détracteurs oublient de repositionner dans son contexte : composé de quatre parties, il aborde l'épineuse question de l’amour adultérin et se frotte donc à de fortes pointures, dont les imparables Liaisons dangereuses qui ne sont plus à présenter. Ici le style est plus classique, mais tout l’attrait du roman se porte dans la manière du traitement, comment aborder ce dilemme – à l’époque de la naissance de la Carte du Tendre – de l’amour-passion, ce monstre qui dévore tout, à commencer par vous-même…

La pauvre mademoiselle de Chartres n’a que seize ans, en 1558 – ce sont les dernières années de règne du roi Henri II – et elle se laisse emporter par l’amour d’un honnête prince, qui demande sa main et l’épouse. Son éducation doit répondre à toutes les exigences de son nouveau quotidien à la cour du roi de France, mais c’était sans compter sur l’angelot coquin qui, depuis son nuage, lui transperce le cœur quand apparaît le duc de Nemours. Et voilà notre princesse sujette au doute : en parler à son époux, ou pas ?
D’où les qualificatifs peu reluisants qui ont surgi ces derniers temps… Mais n’en déplaise à Nicolas Sarkozy, la question n’est pas dénuée de sens, et le roman n’est pas idiot

Ancien grand couturier, Christian Lacroix est avant tout un passionné d’art qui s’orientait vers le métier de conservateur de musée – tout en ne cessant jamais de dessiner. Tout petit il passait son temps à dévorer les monographies des grands peintres, donc rien d’étonnant à ce que l’on retrouve dans ses illustrations des ambiances du Gréco, de Velasquez ou de Picasso. C’est une palette riche en couleurs, issue du Sud, patrie de cœur de Lacroix, des œuvres figuratives essentiellement, ponctuées de quelques dessins abstraits, explosions de motifs monochromes…
Un livre-objet qui pourrait bien se retrouver sous le sapin, un vingt-cinq décembre 2018, pour le plus grand bonheur de ses futurs lecteurs.



François Xavier

Madame de Lafayette & Christian Lacroix, La Princesse de Clèves, 58 illustrations, broché avec reliure otabind, 250 x 352, Gallimard, coll. « Blanche Grand format illustré », octobre 2018, 208 p. -, 42 €

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