Trop court vêtue ?

Elle finira comme une traînée, disaient, jadis, les vieilles dames compassées lorsqu’elles croisaient une jeune fille légère et court vêtue. Sous-entendu sur le trottoir. Dans le caniveau. Voire à la morgue… Gil n’est pas loin de suivre pareille destinée. Mais ne lui faisons pas de procès par anticipation.
Nous voilà dans un bourg de cette France si profonde que Macron et les siens n’en avaient jamais entendu parler avant les Gilets jaunes. Une France où chaque détail compte dès lors que la vie est figée. Alors quand un jeune garçon débarque en apprentissage chez le cantonnier, c’est déjà un sujet de conversation au bar du coin. Surtout quand il y reste à demeure quelques mois. Histoire d’apprendre quelque chose vu que sa scolarité est en berne.
Mais au-delà des bas-côtés à débroussailler il y a donc Gil. La fille du cantonnier. Laquelle a soldé ses comptes avec l’école. Elle travaille à la superette qui ne dit pas encore son nom. Magasin en passe de devenir moderne. Climatisé. Ce qui lui impose une tenue correcte. Des chaussures blanches et un léger maquillage…
 
La voilà donc reine du village. Les têtes tournent, à commencer par celle du gérant. Elle sort de l’adolescence et s’ennuie. Après une lecture attentive de magazines spécialisés, elle s’attaque donc au cœur du problème. N’ayant pas froid aux yeux, elle se choisit son premier homme. La voilà libérée. La voilà active. Débarrassée de ses habits d’enfant…
Elle ira ici ou là, la journée, la nuit, sans – presque – jamais dire non, ne voyant pas où il y aurait du mal dans cette frénésie physique, dans ce partage des émotions avec tous ses hommes qui la respectent, finalement. Même si bien souvent ils se pavanent, après, l’oubliant pour faire les coqs devant la glace…
 
Félix l’observe. L’épie. Parvient petit à petit à gagner sa confiance. Est autorisé à venir dans sa chambre pour lire. La suit du regard dans la salle de bains. Devient son confident, partage des promenades dans les champs… Se sentant hors-jeu car plus jeune, il n’en demeure pas moins amoureux – même s’il ne sait pas ce que cela veut dire. Mais elle aussi, est intimidée. Proche de lui mais dans l’incapacité de signifier quoi que ce soit… Ne le nomme pas d'ailleurs, même si le Garçon l'attire de plus en plus. D'ailleurs cette nymphomanie n'est-elle pas, aussi, une forme de quête d'amour. Mais les histoires d'amour finissent mal. En général.
Sauf un matin, comme une prémonition. Avant le drame. Cadeau de l’aube fraîche. Dans le don du poids d’un corps, tout en étant légère. Une ombre, presque. Désormais Félix saura qu’on pouvait mourir de cette manière si douce dans le petit matin. La vie l’avait mordu au ventre.
 
Un premier roman sur la découverte des émois physiques. Une poésie au service d’un personnage libertaire. Un monde trop grand pour s’y épanouir. Un été trop chaud pour en jouir. Quoique, si tu brilles moins longtemps mais cent fois plus fort, le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ?
 
Annabelle Hautecontre
 
Marie Gauthier, Court vêtue, Gallimard, janvier 2019, 105 p. – 12,50 €
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