Quand la lumière devient silence, André Malraux n’est pas si loin…

Faut-il y voir un clin d’œil appuyé pour ce premier Prix André Malraux 2018, décerné dans sa catégorie Essai à Georges Roque, dans son approche particulière qui lui permet de tisser des parallèles dans une réflexion qui fait écho au livre du célèbre ministre de la Culture, Les Voix du Silence ?

Toujours est-il qu’ici se pose une autre manière d’aborder la peinture par le prisme exigeant et déroutant de la lumière dans la couleur, de la couleur par la lumière… mais il est vrai que Georges Roque est aussi un philosophe et qu’ainsi il peut oublier son habit d’historien de l’art pour aborder sa réflexion par l’angle spirituel et une approche plus ouverte.
En effet, l’incidence de la lumière locale sur la perception des couleurs aiguille l’artiste vers une destination dont il ne soupçonne pas forcément l’orientation, subissant la Nature : s’il peint dans le Nord il y aura plus de couleurs, dans le Sud le tableau sera avant tout lumineux…

De l’Antiquité à la Renaissance, la théorie aristotélicienne règne : clarté et obscurité sont assimilées à la blancheur et à la noirceur des corps ; le blanc et le noir sont donc des couleurs ; lesquelles sont associées dans une classification ordonnée et pensée en fonction d’un critère achromatique, celui de la clarté. Viendra ensuite une approche plus empirique, plus pratique...

De Turner, fasciné par la lumière solaire – tout en étant tapis dans une cave et ne laissant passer le jour que selon ses envies – à Van Gogh, Delacroix, Renoir ou Cézanne en proie au soleil méditerranéen, il y a des pans de l’histoire de l’art moderne qui lient l’aventure de ces artistes à la couleur , mais pas n’importe quelle couleur. Celle obtenue par la prise en compte du noir et du blanc, donc en refusant le dogme des Impressionnistes qui se focalisaient sur les couleurs spectrales (rouge, orangé, jaune, bleu, vert, violet) rendues encore plus brillantes par l’élimination… du noir !
Pour en arriver, finalement, à accepter les lumières tamisées lors des expositions pour mieux apprécier les couleurs ; un attrait qui se développera avec l’arrivée de l’art abstrait. D’ailleurs Rothko insistait sur l’importance d’une lumière tamisée pour présenter ses œuvres.
Une pièce de Baltazar, que j’appelle mon tableau de nuit, n’est regardable qu’au crépuscule tant la luminosité du jour brûle les blancs et détourne l’intention de profondeur en dégradant les noirs…

Il y a donc bien un jeu de situation, aussi bien dans les reflets, les ombres ou les éclats de couleur, selon que l’on positionne un tableau vis-à-vis de la lumière qui l’éclaire ; tout comme il y eut ces approches entre le modèle copié ou imaginé et son interaction avec la luminosité. Un essai florissant d’anecdotes et d’exemples qui portent la réflexion sur des terrains inexplorés, redonnant l’appétit de redécouvrir certaines œuvres par la magie d’une lumière intellectuelle tout autant que physique.

François Xavier

Georges Roque, Quand la lumière devient couleur, 53 illustrations sous couverture illustrée, 160 x 220, Gallimard, coll. Art et Artistes, avril 2018, 248 p. – 25 €

Prix André Malraux 2018

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