Jean-Paul Michel, le poète qui embrasse les livres

Sur la fin de Le plus réel est ce hasard, et ce feu…, qui ouvre le florilège que publie Gallimard, Jean-Paul Michel avoue avoir plusieurs fois porté à ses lèvres un livre, le baiser de manière enfantine, comme on le ferait d’un visage ami. Quoi là de bien singulier, si ce n’est la marque d’un amour inconditionnel pour l’objet livre. Pour ma part, enclin aux émotions olfactives, je ne peux souvent m’empêcher d’aller humer l’intérieur d’un livre, tant les parfums du papier, de la colle, des encres, eu surtout du temps, racontent déjà une première histoire, invite au long voyage qui s’annonce, prépare les synapses à recevoir tout un torrent d’émotions vernaculaires tout aussi puissantes que les images qu’elles vont inciter à imaginer… Jean-Paul Michel prend très au sérieux l’acte de lire, car c’est uniquement par cela que s’aggrave de vigoureuse présence ce qui / pour être exactement senti réclame / d’être ainsi avivé.

En cela il faut donc une voix particulière, une vision des choses, donc une poésie audacieuse, incarnée, indissociable du sel de la vie : c’est là tout l’art de Jean-Paul Michel qui nous livre des pages hors du commun. Par le ton, l’architecture, le placement des mots, la taille des caractères, tout se joue aussi dans l’harmonie plastique, tous ces mots qui font une seule image, tableau dans le poème, témoin de cette vision ardente de la beauté… Une poésie de l’essentiel qui recentre le regard sur les particules élémentaires sans qui nous ne serions point ici à lire cette chronique : le feu qui nous chauffe, le soleil qui nous donne la vie, la nature qui nous supporte – et nous nourrit – dans ce monde laid et cruel qui demande une réelle force pour parvenir à le supporter.
Syntaxe précise qui irradie par à-coups, élargit le cercle et frappe au cœur du lecteur par l’éclat de cette vérité qu’elle libère, démembrant la camisole psychique qui nous tétanise dès lors que les effets physiques du désir interviennent dans le climat atone du quotidien.
La tempête Michel est éprouvante, poèmes brandis comme autant de signes à découper pour nourrir la page blanche, mais comme tout bon mal, elle fait du bien, libérant autant d’endorphines que si vous aviez gagné la course qui vous tient le plus à cœur. Et dans cette victoire si personnelle vous retrouvez la pulpe du monde, le dire nu, vrai, juste et puissant ; poésie forteresse qui impose par sa tension une aura divinatoire qui est un baume de lecture…
 

Jean-Paul Michel est un résistant qui n’a pas peur de dire la joie qu’il éprouve à exister en accord avec la surprise qui surgit de chaque instant vécu, de chaque beauté contemplée dans sa magnificence. Vivre est donc bien une chance. Car pour lui toute vie ouvre l’infini des possibles dans le schéma des accueils multiples… C’est donc tout naturellement que le colloque que Cerisy lui consacra en juillet 2016 attira des intervenants de France, d’Irlande, du Canada, du Chili, de la Belgique… pour examiner le rôle, complexe et contrasté, de la beauté de l’être tel que conçu par Jean-Paul Michel ; le caractère immanent et transcendant, sensuel voire métaphysique de son geste poétique ; les concepts – viscéralement vécus – de justice et de hasard qui irriguent l’œuvre ; le rapport entre la commotion de l’instant et ce que Reverdy nomme cette émotion appelée poésie ; les questions du chant et de la joie et, enfin, l’entretissement des gestes du poète et de l’éditeur (William Black & Co).

Poète ethnologue, poète trappeur, suivant chaque trace que la vie délaisse sur le chemin et les nommant pour leur offrir l’immortalité, Jean-Paul Michel souligne que la poésie n’est pas un medium de plus pour nommer les choses mais bien un outil pour façonner l’Homme dans la confirmation de son être, participant alors à la joie universelle qui est source de pensée.

François Xavier

Jean-Paul Michel, Défends-toi, Beauté violente !, préface de Richard Blin, Poésie/Gallimard n°543, mars 2019, 352 p.-, 10 €

Michaël Bishop & Matthieu Gosztola (sous la direction de), Jean-Paul Michel : La surprise de ce qui est, Classiques Garnier, coll. « Colloque de Cerisy », décembre 2018, 488 p. -, 48 €

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