Dracula & Cie terrorisent la Pléiade

Car il n’y a pas que Vlad Tepes, le comte roumain suceur de sang. La liste des monstres qui vont vous empêcher de dormir est longue. Aussi fallait-il faire un tri. Dissiper certains préjugés qui collent à la peau. Le récit vampirique affiche un statut peu valorisant d’une sous-culture. Voire d’une littérature bon marché. Or, c’est totalement faux !
Pour le prouver, Alain Moran a convoqué Samuel Taylor Coleridge – et son poème Christabel. Un texte en prose "fragmentaire" ajouté par Lord Byron à son poème Mazeppa. Des extraits de Thalaba le destructeur, de Robert Southey et du Giour, de Byron encore… Ainsi nous avons ici trois des plus grands noms du romantisme anglais. Sommes-nous toujours dans le bon marché ? Certainement pas !
Il n’y a donc aucune raison de snober son plaisir à lire Carmilla de Joseph Sheridan Le Fanu. Ou le sulfureux Dracula de Bram Stoker, ou encore Le Sang du vampire de Florence Marryat. Oui, une fille… Je vous rappelle que Frankenstein eut une mère, une auteure comme l’on dit maintenant. Mary Shelley qui, au cours de l'été 1816, à la villa Diodati, au bord du lac Léman, engendra une créature de papier monstrueuse. Les femmes aussi, en ces temps-là, avaient une plume sacrément décomplexée…

Alors, littérature immortelle ? comme ces auteurs qui ont osé proposer une histoire hors des sentiers battus. Une mythologie vampirique construite au fil des récits. Au-delà du frisson de l’émoi, l’envie du lecteur est saisie par cet appétit révélé. L’immortalité. Un titre repris par Milan Kundera, justement, car il résume à lui tout seul le dessein spirituel de l’Homme. Qui jalouse secrètement le vampire qui, lui, a concrétisé cet impossible pari. Et cette figure intrusive, ne serait-elle pas, aussi, tapi au plus profond de nous ?

Sans la mort, point de littérature, ne l’oublions pas. C’est la peur de la mort – ou le sens de sa présence – qui donne un sens à l’écriture. Sans mort point de mythologie. Donc pas de vampire…
Le phénomène vampirique est également lié, dans le corpus des superstitions, à la peur de l’épidémie et de la contagion. La hantise de la contamination devient une obsession. Présentée comme une punition métaphysique, l’épidémie fait plus peur que la maladie individuelle. Les fléaux terrorisent les populations et culpabilisent les survivants qui sombrent dans une angoisse permanente dans la crainte de la contagion. Il faut alors un bouc émissaire : le vampire.
Le vampire crée la peur, la peur crée le vampire. Qui de l’œuf ou de la poule… chanson connue qui verra son apogée dans les années1730. La folie collective pousse les gens d’Europe centrale à croire de façon irrationnelle aux vampires. A leur interaction avec le monde réel. La terreur liée au vampire se propagea à la manière d’une épidémie… Ainsi les auteurs s’en donnèrent à cœur joie !

Il faut dire que le XIXe siècle avait des allures de XXIe. A moins que ce ne soit l’inverse ? Ce qui expliquerait cette profusion de films et série TV sur le sujet : Twilight, Buffy, True Blood, etc. Nous vivons dans un univers façonné par les Lumières. Rationalisme, scientisme, progrès technologiques font écho aux manipulations de Victor Frankenstein assemblant son monstre ou à celle de Van Helsing pratiquant la transfusion sanguine.
De là à penser qu’il nous faut une pincée de peur dans notre quotidien. Comme une pincée de sel dans notre assiette. Pour préserver notre équilibre. Car vivre sans peur reviendrait à nous conforter dans une quiétude hémiplégique. Nous ne pouvons ignorer la présence du mal… rendons grâce au récit vampirique de nous maintenir en alerte. Oui, l’idée même de vampire – et l’ambiguë psychomachie qu’elle appelle en retour – nous aide à préserver l’intégralité de notre psychisme.

Annabelle Hautecontre

Dracula et autres récits vampiriques, textes traduits de l’anglais, présentés et annotés par Alain Moran, Bibliothèque de la Pléiade, n° 638, Gallimard, avril 2019, 1168 p. -, 63 € jusqu'au 31 décembre 2019 puis 69 €

 

Ce volume contient :

Samuel Taylor Coleridge : Christabel. John William Polidori : Le Vampire. Lord Byron : Fragment. Joseph Sheridan Le Fanu : Carmilla. Bram Stoker : Dracula - L'Invité de Dracula. Florence Marryat : Le Sang du vampire. Robert Southey : Thalaba le destructeur (extrait). Lord Byron : Giaour (extrait).

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