Geneviève Damas : mélopée de Bluebird

Juliette - ou Bluebird comme l’a surnommée son jeune amoureux de passage - succède à Patricia dans le gynécée romanesque de Genevve Damas. L'auteure séduit une fois de plus par un récit de vie. Il est sans doute plus fort que les précédents car il s'adresse à celui qui n'existe pas encore mais qui dans le ventre de la narratrice bouge sans cesse.
Celle qui a quitté le lycée et largué ses parents pour aller vivre chez sa grand-mère a du mal à admettre ce qu'elle a mis trop de temps à reconnaître : elle est enceinte depuis plusieurs semaines. Le temps d'avortement possible étant passé reste des questions cruciales et premières : garder le bébé, le confier, le «donner» en adoption, tel est désormais le choix qui s’impose à elle.

Nous sommes soudain dans la crainte, l’angoisse, l’exaspération, la panique. D'autant plus que Geneviève Damas a trouvé uns stratégie des plus intimes : Bluebird écrit une longue lettre adressée au futur enfant. Et l'auteur sait suggérer peurs, rêves, fragilité de la jeunesse.
L'auteure nous plonge dans une sorte de soliloque adressé à celui ou celle qui n'existe pas encore mais qui permet à la future mère de lui donner ses propres sensations en lui écrivant ce qu’elle fait, ce qu’elle assume comme elle le peut en renversant de cette façon une chronologie.

Il existe bizarrement dans ce livre éminemment de femme quelque chose des textes intimes d'André Gide (même si désormais ce nom a rejoint les oubliés de la littérature : rares sont ceux qui le lisent encore). S'exprime dans une sorte d'envers, ce qui généralement se vit sans se dire.
Dans cet exercice périlleux et proche de l'indicible précieux, quelque chose s’éclaire à l’intérieur de Bluebird. Parlant au bébé elle se parle à elle-même au moment où - comme on l'aurait dit jadis - elle semble avoir enterré ses rêves d'innocence par inadvertance notoire. Mais existe-t-il vraiment d'actes manqués ?
Personne ne parlera jamais à l'enfant comme sa future mère le fait. Démunie, mise à nue par elle-même, elle crée une chanson bien douce mais douloureuse ; comparable à celle de l'Alleluia de Léonard Cohen repris par Jeff Buckley. Les notes aigues de Bluebird rejoignent celle d'une telle ballade où à l'innocence succède l'expérience "primitive" qui force le destin.

Jean-Paul Gavard-Perret

Geneviève Damas, Bluebird, Gallimard, mai, 2019, 160 p.-, 14,50 €

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