Quand Raymond Depardon faisait ses classes

Ce livre original et inattendu permet de montrer comment un regard se "fait". Et pas n'importe lequel : celui de Raymond Depardon.
Lors de son service militaire, il collabore à la revue "Bled 5/5" qui deviendra "TAM, Terre Air Mer". Ses clichés furent conservés par l'Etablissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD) et dans leur grande majorité demeuraient inédites.

Depardon n'était cependant pas un néophyte. A 16 ans il quitta Villefranche pour Paris et devint l’assistant du photographe Louis Foucherand. Deux ans plus tard il est engagé par l’agence Dalmas en tant que photographe pigiste. Il est envoyé en Algérie pour couvrir l’opération SOS Sahara et décroche sa première grande publication dans Paris-Match. Il devient, en cinq ans, le reporter principal de l’agence.

En mars 1962, il est incorporé pour ses classes pendant quatre mois au 37eme régiment d’infanterie à Sarrebourg (Moselle), puis il est envoyé à Paris pour travailler comme photographe des armées. Un an plus tard - libéré de ses obligations militaires -, il retourne à l’agence Dalmas où il devient photographe salarié.

Sous la carapace de l'uniforme et les fourches caudines de la Grande Muette Depardon laisse poindre son talent. Dans les 200 photographies réunies et commentées par l'artiste lui-même se découvrent à la fois un savant don pour le cadrage mais aussi tout l'impertinence et l'humour du photographe.
Nullement embrigadé dans un respect empesé, il prouve déjà tout ce dont il est capable. Certes il est fort à parier que ses clichés restés inédits n'ont pas toujours été du goût de sa hiérarchie. Mais elle eut le mérite de les conserver.

L'obligation de cliché officiel n'empêche jamais Depardon de trouver l'axe qui permet de suggérer ce qui se cache au-delà de l'apparence et l'artificialité. Par delà la lumière des cérémonies, reste l'obscur qui sort, sinon l'armée, du moins ses équipages des caricatures officielles attendues.
Derrière la grandeur d'apparat surgissent implicitement certaines petitesses discrètement suggérées. Pour autant Depardon demeure toujours fidèle à la réalité. Il ne transige pas avec elle. Et nul ne pourrait lui reprocher de trahir ou de travestir les choses vues. Néanmoins l'artiste suggère souvent un vide plus ou moins habité.
Au regardeur de l'interpréter.

Jean-Paul Gavard-Perret

Raymond Depardon, Photographe militaire, (1962-1963), préface de Pascal Ory, Album Beaux Livres, sous couverture illustrée, 245 x 310, Gallimard, mai, 2019, 208 p.-, 35 €
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