Les fantaisies crépusculaires d'Antoine Billot

Antoine Billot est un grand écrivain, sans doute trop méconnu d’un grand public auprès de qui tout le monde semble courir – ou tout le moins chercher reconnaissance, confirmation – mais là n’est pas l’essentiel ; l’important c’est le plaisir procuré par cette langue si bien maniée, construite, dépliée dans des tournures languissantes et renvoyée vers des sommets de lyrisme ou des puits de souffrance, des éclats de voix et des caresses de velours, oui, encore cette manie du style qui m’est si cher – et que dire du Portrait de Lorenzaccio en milicien ou de Monsieur Bovary, mais on laissera le lecteur le découvrir – ce style, donc, associé à un vocabulaire précis, pointu, délimitant les images, coloriant les décors, armant les caractères et ainsi déployant ses fils invisibles autour de tous ces personnages virevoltants qui jouent à croire à l’idéal républicain porté par le dessein de l’Empire… à commencer par le général Gautier qui, entre deux jurons, va s’approprier l’Histoire pour tenter de sauver son aide de camp – quitte à faire enlever le Pape, rien de moins.

S’appuyant sur un biographe imaginaire, Irénée Janvier, spécialiste de la période napoléonienne, Antoine Billot dresse le portrait d’une Italie insoumise et corrompue, indolente et insolente, selon les opportunités que les nouveaux maîtres français offrent à qui sait comprendre la marche du temps. Noblesse paillarde d’un côté, plus encline à pactiser avec Napoléon pourvu que l’on continue à festoyer ; fous de Dieu de l’autre, enrôlés de force dans la secte Regnum Dei ou massacrés pour fraternisation avec l’ennemi. Et l'amour qui s'invite à la fête, au détour d'un duel d'opérette, une farce comme seuls les Italiens sont capables, et d'un fleuret moucheté voilà qu'une idylle naît entre un lieutenant français et la veuve du chef des insurgés. Tels Roméo et Juliette, nos deux tourtereaux brûleront leur désir sur les pavés d'un chemin détourné qui ira d'une chartreuse à un étang, d'un cachot à une garçonnière, entourés de rats et de vipères...
Au beau milieu de ce chaos, Miollis, le gouverneur de Rome, se préoccupe de ses seuls désirs d’alcôve et n’entend pas le voir se développer, aussi le général Gautier devra agir seul, car les affaires avaient remplacé les idéaux, les combines diplomatiques et les guerres avaient diffamé l’avenir de cette modernité audacieuse que semblait augurer la constituante. Finalement, depuis 1809, rien n’a vraiment changé…

Roman d’époque – mais laquelle ? – qui nous relie à travers les siècles tant l’homme politique est, et demeurera quoiqu’on en pense, le vil fat que l’ambition isole et voue à se perdre. L’ambitieux savait qu’un peuple inquiet est comme une femme maussade qu’on se résout à tromper : il redouble de fiel à l’instant qu’il devrait se faire suave afin qu’on l’épargne.
Une leçon à méditer du côté de l’Elysée.

François Xavier

Antoine Billot, Fantaisies militaires, Gallimard, avril 2019, 492 p.-, 24 €
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