Romain Gary, comment devenir autre ?

Plusieurs vies, si l’on considère qu’il a été diplomate, aviateur, romancier, réalisateur. Qu’il était tour à tour et en même temps « joueur, aventurier, séducteur ». Plusieurs noms, dont un tellement connu, Emile Ajar, « ultime imposture » de cet homme aux talents si nombreux qu’il est difficile de les cerner tous.
Romain Gary semble inépuisable, un peu comme ces autres écrivains qui adoptèrent des visages divers voire opposés selon qu’il s’appelait S. Culape, Gérard Dunoyer, Amélie de Lambineuse, Vernon Sullivan et tant d’autres noms aussi drôles qu’impertinents pour Boris Vian, selon qu’il s’appelait Dr. Pancracio, Gomes Pipa, Ricardo Reis, Jaón Craveiro et tant d’autres hétéronymes pour Fernando Pessoa. Ce que ce dernier écrivait, dans son style inimitable, pourrait nous rapprocher de ces deux auteurs qui ont usé comme d’un second visage de noms forgés à leur image.  

Ce que nous sommes
Ne peut passer ni dans un mot ni dans un livre.
Notre âme infiniment se trouve loin de nous.
Nous sommes nos rêves de nous, des lueurs d’âme,
Chacun est pour autrui rêves d’autrui rêvés.

 

Noms différents, personnalités différentes, au fond de cette recherche il y a toujours la quête d’un moi caché, d’une identité qui se serait perdue, d’une origine à retrouver. « Toute l’importance d’une vie, disait Romain Gary, est de soustraire une identité par l’addition de plusieurs ». Le compte n’est jamais bon, il est au-delà, il atteint l’infini. C’est ce qui a séduit et séduit encore ses lecteurs, ceux que Maxime Decout, au début de cet album, appelle « les fervents admirateurs ». En face d’eux, les détracteurs. Il n’y a pas de demi-mesure avec Romain Gary, pas d’espace intermédiaire pour les jugements à moitié course.

Cet album accompagne opportunément l’événement qu’est l’intégration de celui qui est né Roman Kacew le 8 mai 1914 à Wilno, devenue depuis Vilnius, capitale de Lituanie, dans la prestigieuse collection de La Pléiade. François-Xavier en a rendu compte dernièrement ici même.
Ces pages très renseignées enrichissent à nouveau notre connaissance de l’écrivain. Il est toujours agréable d’en apprendre davantage sur des mythes. Elles ajoutent en outre à tout ce qui a pu se dire et se lire, à ce qui sera dit plus tard, une abondante série de photos et de documents inédits. On entre dans la réalité d’une légende de la littérature.

« J’étais un enfant lorsque ma mère m’apprit l’existence d’une cohorte ennemie et je pressentis qu’un jour, pour elle, j’allais la défier ». Magnifique promesse, une aube aussi nouvelle d’incroyable allait se lever. On sait quel succès a obtenu son ouvrage, La Promesse de l’aube, paru chez Gallimard en 1960. Une ode à l’amour maternel comme on en lit peu. Entre la vérité vécue et les vérités qui se lisent, s’intercale justement le « métier d’orfèvre » que Romain Gary possède jusqu’au bout de sa plume.  

« Aux heures les plus dures de la guerre, j’ai toujours fait face au danger avec un sentiment d’invincibilité. Rien ne pouvait m’arriver, puisque j’étais son happy end. Dans ce système de poids et mesures que l’homme cherche désespérément à imposer à l’univers, je me suis toujours vu comme sa victoire….J’avais huit ans, je crois, lorsque la vision grandiose qu’elle avait de mon avenir m’apparut. Nous étions alors installés provisoirement à Wilno, en Pologne, en attendant d’aller nous fixer en France ». L’histoire commence, laissez-vous guider ou plutôt emporter par Maxime Decout, dans cette traversée, « parfois périlleuse », selon ses mots.

Dominique Vergnon

Maxime Decout, Album Romain Gary, 200 illustrations, 105 x 170, Coll. Albums de la Pléiade (n° 58), Gallimard, mai 2019, 248 p.  

 

 

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.