L'amie de la famille

Au début fut une vague. Pas énorme, à peine plus haute que les autres Rien qui à première vue puisse alarmer. Une vague qui pourtant en emportant Annie une jeune fille va ensevelir toute une tribu sous le poids du silence et du déni. « Une famille de gommes » note l’auteur, le frère. On parle si peu chez lui  qu’un jour, un proche demandant qui est l’adolescente sur la photo se verra répondre : «  une amie de la famille ». 
Pourtant, les parents,  le fiancé d ´Annie, emporté lui aussi mais rescapé étaient tous présents, ce jour de Toussaint sur les rochers de Biarritz, où se déroula le drame. Tous étaient là, tous ont occulté ou plutôt se sont débrouillés seuls avec leur culpabilité, leurs souvenirs, leur sentiment de profonde injustice.

Car la jeune noyée de la Toussaint revenait de l’enfer, du mal être de  l’anorexie, de la détestation de soi. 
Pourquoi elle, pourquoi ce jour là ? Personne n‘ayant de réponse, la meilleure solution est  l’omerta qui va durer cinquante ans. Jusqu’à ce que la propre fille de l’auteur cherche à en savoir plus sur sa jeune tante disparue et donne à son père, le déclic, la permission d évoquer la jeune femme heureuse et solaire, dansant au son d’un antique Teppaz sous un grand tableau     représentant une vague…on y revient toujours.

Le tableau suspendu au dessus du lit des parents, effraie  les enfants conscients du symbole subliminal, touchant ainsi du doigt, « la puissance effrayante et sacrée du silence ». Rien  n’est simple, tout est effarant dans le deuil.   Le mutisme, les non-dits sont les vrais thèmes de ce livre lumineux avec leur corollaire, le souvenir. Que reste il du passé ? Qu’est ce que la mémoire ?  N’ est elle pas la plus effrontée des menteuses ? 
Dans le sud-ouest des années soixante, la maisonnée survit plus qu’elle ne vit, figée dans son malheur.

Il faut du temps pour questionner les secrets de famille et ressusciter une jeune sœur, non telle  qu’elle était mais telle que des bribes de souvenirs la restituent. Épars et magnifiés, ils dessinent en creux une femme qui est une construction personnelle et permet à tous,  jeunes et vieux de se retrouver autour d une figure devenue légendaire. 
L’auteur  qui est aussi éditeur  l’affirme : la littérature ne répare pas, elle rend possible une autre vie, elle permet aux flux vitaux confinés dans  l’obscurité de recommencer à circuler, de passer d un corps à l’autre, d’un cœur à  l’autre. Et d ériger un magnifique et éternel tombeau de papier à une sœur aimée, trop tôt disparue. 

Brigit Bontour

Jean-Marie Laclavetine, Une amie de la famille, Gallimard, mars 2019 192 p.-, 18 €
Lire aussi la chronique de Jean-Paul Gavard-Perret

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.