Ker Roussel, une célébration de vie et de nature

Année après année, elles traversent littéralement son œuvre, voisines et complices d’abord, puis davantage associées, enfin totalement mêlées et comme soudées l’une à l’autre, jouant en cohérence sur tous les tableaux. La nature et la lumière sont comme deux actrices au service de François-Xavier Roussel, surnommé Ker-Roussel (1867-1944). En grande toile de fond, ou alors directement insérées dans l’action, elles servent de décor aux ébats des nymphes et des satyres, elles animent de couleurs vives cette longue rêverie mythologique que l’artiste compose et recompose au long de son existence. En lui donnant selon les époques, des tonalités différentes, des nuances divergentes, des éclats soutenus que son goût pour les hachures renforce.

Le parcours chronologique de la rétrospective présentée au musée des Impressionnismes Giverny en apporte la preuve. Convoquées, célébrées, omniprésentes, la nature et la lumière n’interviennent pas uniformément. Il faut y regarder de près, en comparant leurs rôles pour en évaluer le poids. La nature et la lumière sur lesquelles se détachent d’un côté, dans des attitudes faites d’élégance et de silence malgré un apparent dialogue, ces femmes visibles sur les deux tableaux intitulés Les Saisons de la vie,  sont loin de la nature et de la lumière irradiant du Faune dansant au tambourin où elles se fractionnent à la manière pointilliste. Plus encore, elles s’écartent résolument de la nature et de la lumière de L’Après-Midi d’un faune, quand les couleurs ont incorporé la chaleur du jour et les désirs des personnages, selon le souhait de Mallarmé.
Comme Ker-Roussel manie en expert le pastel, l’huile, le fusain et la très exigeante peinture à la colle, il lui est facile de traduire ce qu’il ressent et de faire de ses paysages, suivant ses inspirations, des lieux de félicité, des enclos de joies édéniques ou des réserves plus mélancoliques. Le jardin est l’espace de choix de Ker-Roussel. Le titre donné à l’exposition comme à l’ouvrage qui l’accompagne est révélateur de cette prédilection et l’ensemble de son travail, notamment à L’Etang-la-Ville.
A deux ou trois exceptions près, Ker-Roussel emmène le regard à l’extérieur, il l’invite à aller saluer dehors le printemps, à participer à la danse des faunes et à la cueillette des pommes dans le verger fabuleux des Hespérides. Il connaît la philosophie vitaliste, il y pense sans cesse en peignant. Sous son pinceau, la pensée d’un  âge d’or perdu revient de façon bucolique, suivant les leçons antiques.
Comme le dit Mathias Chivot, commissaire, qui connaît parfaitement et l’homme et l’œuvre, les bonheurs de la nature qui n’excluent pas le penchant pour l’anarchie reviennent en un écho « passionné, convaincu, érudit ». Le peintre a beaucoup lu en effet, Nietzsche en particulier. Il se souvient des leçons du vitalisme, des poussées de vie qui renvoient à une forme d’hédonisme et de ce que le philosophe allemand appelait le « charme le plus puissant de la vie ». Les élans et les énergies de Ker-Roussel se retrouvent sur ces corps dénudés, dans les rapts, chez ces jeunes êtres qui s’aiment au milieu des arbres, participant à la création de « tout un univers de flamboiements charnels ».   

 

La personnalité de Ker-Roussel, longtemps « le mal-aimé » comme le rappelle un des chapitres de ce livre, se découpe autrement dans ces pages, elle s’allie au soleil, au mystère, à la culture méditerranéenne. Connu pour ses grandes décorations, il s’impose désormais pour la qualité, la subtilité et la douceur de ses pastels.
Ker-Roussel ne se limitera plus à une période, celle du groupe des Nabis. Gardant ancrés dans sa manière les codes du synthétisme, triomphant dans l’absence de  perspectives et l’usage des aplats de couleurs, il se découvre certes amateur de bacchantes mais tout autant auteur d’eaux fortes où dans un combat entre les ombres et les lueurs nocturnes s’épanche son versant sombre.

 

Ker-Roussel était le beau-frère d’un autre grand peintre du moment, Edouard Vuillard, né un an avant lui, puisqu’il épousa Marie, la sœur de Vuillard. Vieille amitié développée depuis le lycée Condorcet et poursuivie aux Beaux-arts.
Tout proche, au musée de Vernon, les deux amis racontent en les illustrant leurs liens de parenté. Des portraits et des photos marquent les étapes de cette intimité familiale, pendant trois générations. Comme on entre à pas mesurés dans une demeure inconnue, on pénètre à leur suite dans les pièces où l’on coud, dans les salles à manger où est servi le thé, dans la chambre où on est malade, vivant au rythme lent de la domus, la maison.
Chacun selon son style relate ces dialogues et ces confidences au quotidien, avec au centre Madame Vuillard, la « mère qui règne d’une tyrannie tranquille sur le monde empressé et clos de son atelier de couture ».

 

Dominique Vergnon

 

Sous la direction de Mathias Chivot, Ker-Xavier Roussel, jardin privé, jardin rêvé, 225 x 285, 130 illustrations, Gallimard, août 2019, 168 p.-, 29  €
(www.mdig.fr)

 

Mathias Chivot,  Edouard Vuillard et Ker-Xavier Roussel, portraits de famille, 225 x 220, 88 illustrations, édition musée de Vernon, juillet 2019, 72 p.-, 14,90  €
(www.vernon27.fr/la-ville/culture/musee/)

 

 

 

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