L'imperturbable clarté poétique de Jean-Marie Barnaud

La littérature – et plus encore la poésie – se pratique dans l’exil du monde, dans la solitude d’un bureau, dans le silence, loin, si loin des polémiques éditoriales qui transforment l’édition en cirque. Ainsi il en va de Jean-Marie Barnaud qui, loin de Paris – à Grasse, précisément – dresse une œuvre majeure – prix Apollinaire, prix Georges Perros – que cette collection de poche va enfin offrir au plus grand nombre. Car, n’en déplaise aux grincheux, il demeure encore une fracture sociale, comme aimait à rappeler feu Jacques Chirac, entre Cheyne éditeur et les étals des librairies, voire une double fracture tant la poésie est déjà invisible, alors quand vous êtes chez un petit éditeur…

Voilà donc cette anthologie magistrale qui remet à hauteur de la main une œuvre à se saisir, un livre à ouvrir, à lire sur un banc du jardin du Luxembourg, en pied du cap d’Antibes, sur les contreforts de La Rochelle ; partout où le regard pourra s’échapper de la ville, s’ouvrir à l’ailleurs, chercher la beauté.
Ce ne sont pas moins de onze de ces treize livre qui sont ici présentés, de quoi vous laisser le temps d’entendre cette voix sobre, pudique mais évoquant toute l’extraordinaire humanité qui vibre entre les vers. Un acte littéraire empreint d’une grande éthique qui inscrit Jean-Marie Barnaud dans la droite ligne des Jaccottet ou Noël, voire Deguy

On avait fait son miel
Jusqu’alors
De la mélancolie
La vieille lune traîne ses fripes
Un peu partout
On pouvait se croire sauf
Le poème déroulé
Pour solde de tout compte

La litanie grise
On l’a jouée sur la corde sensible
Tant de fois


La poésie c’est aussi une musique, la poésie c’est l’oralité imprimée ; ainsi le poète est donc d’abord une voix, un éblouissement dans le concret du monde. Barnaud est une voix qui porte, non qu’elle soit haut perchée mais elle est puissante, elle frappe, claque, atteint sa cible même à fleuret moucheté car elle est authentique, elle nous enseigne les signes que nous refusons de voir, elle s’entête à nous convertir à la beauté, à nous ramener au port, dans l’estuaire du paisible bien-être que la furie de la société moderne s’évertue à muer en fête perpétuelle et ainsi annihiler les arrêts sur image ; car sans contemplation point de joie, sans joie pas de bonheur ; or, l’art du jouir est aussi celui du temps maintenu, suspendu ; du feu qui couve sous la cendre de nos pas éphémères sans que la chaleur ne transperce la cuirasse…

Tout est perdu rien n’est perdu
de ces époques de ces visages
L’harmonie les pense
et la syncope
L’une et l’autre redressent
l’âme chétive
Et la bassesse se plie


Il faut de l’audace pour être artiste, encore plus pour oser la poésie : au-delà de la raillerie, il y a la confrontation avec soi, la vérité du mot, l’impossibilité de se perdre en digressions, l’obligation de viser juste… Et Jean-Marie Barnaud parvient à son meilleur dans la maîtrise de cette audace portée avec ferveur, imposant sa joie de vivre dans la mise en abîme de détails apparemment insignifiants mais qui, une fois déposés dans le poème, prennent toute leur grandeur dans l’acte d’écrire, l’acte de vivre cet instant dans la grâce d’un passage d’un temps l’autre. L’avant du poème, l’instant de l’acte, l’après de la lecture forment un tout dans la douceur du moment, parvenant à chasser les ombres menaçantes pour que seul l’air vif du plaisir courtois s’imprime.

Encore la peau
sur quoi je pose ma main
sans rien entendre
ni savoir
que sa tiédeur
Chaleur pour chaleur
abîme pour abîme
la peau rend à la peau
la blessure
d’une caresse


François Xavier

Jean-Marie Barnaud, Sous l’imperturbable clarté – Choix de poèmes 1983-2014, préface d’Alain Freixe, Poésie/Gallimard, septembre 2019, 272 p.-, 8,50 €
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