Alain Borer : Villeglé et la couleur

Alain Borer empoigne par ses 100 grammes l'œuvre de Villeglé selon différents types de discours. Tous montrent l'importance de la couleur dans une œuvre qui permet de regarder le monde comme un tableau loin de la simple illustration même si pour la créer le plasticien se sert souvent des restes d'images qui tente de donner une signifiance communiquante à la lecture du réel par leurs informations et dispositifs pulsionnels collectifs.

L'auteur précise comment le feuilletage des couches leur encollage et leur déchirures inventent paradoxalement une réelle transparence. La surface se dérobe et pourtant surgit une sorte de prurit qui irrite le regard.

Le tableau reste bien plat, c'est bien sûr une surface, rien qu'une surface, néanmoins son exaspération a lieu par la saturation de couleurs. Elle n'est plus refoulée mais exacerbée là où le collage premier crée les signes d'une poussée interne. Les surfaces plates deviennent en quelque sorte bombées comme si elles portaient le message d'un en dessous exaspéré.

L'œuvre désigne alors une zone ou un champ liminal, un état "tremblé" qui recoupent l'encore et le déjà. D'où ce qui enflamme, hérisse le regard en des superpositions. Elles  grincent, font crier le silence. Il y a donc bien effraction de, sur, à la surface. Et si en elle existe le bombé émane aussi le creux. C'est ce que Didi-Huberman nomme dans "Phasmes", une épiphasis-aphanasis : une ouverture énigmatique et fermeture heuristique. Epreuve d'une confusion des ordres entre ce qui fait couleur au delà des formes.

Se touche à la matérialité sensible de la "peinture", à l'extrême pointe de son effet coloré, de son incarnat par la magie de la procédure de Villeglé. L'artiste traite les couleurs de manière à produire un jeu d'apparence sans objet que souligne Borer.
Il devient reflet de reflet par effet de pan. Le créateur propose en conséquence l'art le plus lucide qui soit à travers sa conscience déchirée. Déchirée parce qu'elle pense la constitution du visible par déposition chromatique signifiante sur le support mais dans l'avènement d'une lumière. Elle se crée non par déposition mais effacement et arrachement, par recouvrement et – après coup – découvrement dans une dialectique dispersive qui ouvre au trouble. Il y a là tout un travail subtil entre enveloppement lambeaux et entrelacs qui nous regarde comme le petit pan de mur jaune regardait Bergotte. Si bien qu'à l'archive fait place non ses signes mais leur matière.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

Alain Borer, Villeglé l'anarchiviste, Hors-série Connnaissance, Gallimard, novembre, 2019, 13 €

 

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.