F.J. Temple : étreindre le monde en poésie

Pourquoi n’y aurait-il pas des poètes voyageurs comme il est des romanciers globetrotteurs ? Ainsi, Frédéric Jacques Temple, dans la lignée de ses pairs, membre du club des grands aventuriers, s’est-il épris des lieux visités, de San Francisco à Saint Pétersbourg, de Dublin au désert du Néguev, et a-t-il ainsi nourri son œuvre de ses rencontres, de ses découvertes, de ces paysages admirés, de ces lieux insolites scrutés à la loupe, tel le Sherlock des mots.
Car déjà, à douze ans, le voilà qui invente une langue, inversant l’ordre des lettres : le srevne naissait, langage à rebours qui marquait le premier acte d’un long cheminement dans le monde des Lettres…

Jules Verne et Blaise Cendrars, ses deux oncles, vont porter le jeune homme (né en 1921) tout au long de sa scolarité ; aidé par un authentique oncle, celui-là, qui va lui apprendre à regarder le monde, à dialoguer avec la nature. Plus tard, les poèmes de Temple seront tous dédiés à l’esprit des lieux, à l’épaisseur sensible du temps. Dans le kaléidoscope dont Temple fait, avec le manège, l’un de ses emblèmes, lire, collectionner, voyager, écrire, se composent et se recomposent au service d’une commune ambition : prendre part, affirme Claude Leroy dans sa préface.

Passons les frontières les équateurs des atlas symboliques et fuyons
Suivons les ailes noires des migrations triangulaires
Dans le sillage astral des oiseaux sonores
Marchons dans la grande nuit lactée au rythme des bêtes et de la floraison

 

Dispersé à ses débuts, à la fois journaliste à la radio et à la télévision, il se cherche entre roman, essai, et le poème mais en 1968 il semble se décider et paraît ce que l’on pourrait nommer son véritable premier recueil : Les Fleurs du silence. Sans doute le fruit de ces rencontres inespérées que la vie vous réserve parfois : entre 1946 et 1957, Temple va croiser cinq hommes qui vont changer sa manière de voir les choses, vont lui permettre d’échanger idées et valeurs : Henry Miller, Joseph Delteil, Blaise Cendrars, Richard Aldington et enfin Lawrence Durrell.
Cinq rencontres définitives, ils m’ont enrichi de leur amitié… et lui ont transmis une confiance en soi qui fera que désormais Frédéric Jacques Temple enchaîne les publications, récits, essais, traductions… et toujours la poésie, bien entendu.

Voué à la notion de voyage, Temple se range sous l’aune de Baudelaire : voyager s’entend au sein de l’espace du dehors comme de l’espace du dedans, qui ne sont, finalement, que des vases communicants. Mais pour qu’il puisse y avoir continuité, il convient aussi d’aller voir sur place. Frédéric Jacques Temple se déplace et fouille sur le vif les livres qui l’accompagnent depuis son enfance…
Pas un voyage qui ne soit un voyage en double : Dublin/Beckett, Long Island/Whitman, etc.

Temple est un poète pour qui le réel existe, qui inscrit une poésie qui est elle-même objet et tant pis pour les grincheux de l’époque qui jugeaient qu’écrire et voyager était intempestif ! Les sots… Frédéric Jacques Temple a tenu ferme le cap de son projet, loin des avant-gardes et autres surréalistes qui firent long feu tandis que lui demeurait relié au monde, les pieds bien ancrés dans la terre.
Pour lui, la poésie est avant tout émotion, qui vient aussi un fil de la vie, et donc peut parfois lui donner un air de journal de bord, mais la qualité narrative dépasse l’étiquette collée par quelque critique en mal d’imagination…

Frédéric Jacques Temple nous soulève dans un mouvement cosmique d’une rare sensibilité qui nous rapproche de la terre, cette mère Nature prise en otage par les ayatollahs verts des mouvements sociaux et politiques ; lire sa poésie ouvre aux réminiscences de ce que fut un monde moins cruel envers son origine matricielle. Ses poème sont des passerelles, des totems qui célèbrent la fascinante histoire du monde dans la mise en avant des merveilleux détails qui nous échappent au quotidien, nos yeux vissés sur nos écrans.

François Xavier

 

Frédéric Jacques Temple, La chasse infinie – et autres poèmes, préface de Claude Leroy, Poésie/Gallimard n°548, janvier 2020, 136 p.-, 9,50 €

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