Paul Valet entre les maux des mots

Sa raison d’être / Est d’être sans raison car il devine qu’Il n’y aura pas de mort / Où survivre, il pressent qu’Il n’y aura pas d’oracle où sombrer… Ici s’assemble autour des mots le revers infaillible d’un sens aiguisé de la vision du destin tragique des Hommes, cette sensibilité slave qui se devine dès les premiers vers lus.
Oui, Paul Valet est un nom de plume, celui de Grzegorz Swarc, né en 1903 à Lodz (prononcez Outche), en Pologne, un homme clairvoyant, qui s’égara entre la musique, la peinture, la médecine (il fut l’un des pionniers de l’homéopathie) et la poésie ; jusqu’à en devenir fou, refuser les traitements et mourir en 1987 à Vitry-sur-Seine après avoir noirci des centaines de feuillets…

Sachant pertinemment que Pour retrouver le juste mot / Il faut passer où nul ne passe, il s’invente ce pseudonyme pour se permettre de tout dire : La pensée va au-delà de la parole et, pour exprimer ma pensée, il faut que je la soumette aux lois de la parole. Je suis donc le valet de la parole, le valet de la poésie
Il y aura aussi près de quatre cents tableaux nés dans cet atelier du jardin de Vitry, exposés par l’amie de René Char, Yvonne Zervos, dans sa galerie de la rue du Dragon (1955).
Et quand il ne peint pas, il écrit.

Être lucide et juste
Pour la nuit

Traverser sans périr
Les marais cérébraux

Rompre le pain
De la Mort


Raboter les poèmes
Jusqu'à l'os

Faire table rase
De la table

Surseoir
A soi


Paul Valet a le sens des antinomies lapidaires qu’il ne cherche même pas à réconcilier ni à expliquer ces avalanches de contradictions qu'il libère en oubliant que l’oxymore est aussi une pirouette. Je vous donne ma parole / Imprenable.
Alors goûtons sans modération, mordons dans cette pomme au vitriol qui, comme tout artiste de l’Est, va si profondément au cœur des ténèbres illuminées de soufre, touchant à l’essentiel. Toujours. Avec courage son analyse poétique du réel exalte l’esprit du lecteur, lui offrant une lumière à part, à la fois sombre et immobile mais qui, fixée patiemment, offre un halo de pénombre, une porte dérobée dans l’insoutenable obligation de vivre ici-bas, dans ce bloc immobile d’insuffisances exaltées, de faiblesses conditionnées ; alors que la vie pourrait être si douce sans l’effet miroir qui nous détourne tous de notre dessein initial.

Ma conscience
Est un astre vagabond

Je m'en vais d'où je viens
Et je viens d'où je suis
Je me retourne et retourne
Et j'affirme et je nie


François Xavier

 

Paul Valet, La parole qui me porte, préface de Sophie Nauleau, Poésie/Gallimard, février 2020, 224 p. – 7,50 €

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