Akira Mizubayashi : quatuor du fantôme

L'origine de ce superbe roman date de décembre 2017 à Hiroshima. L'auteur s'y était rendu pour écrire un autre superbe livre Armistice (Gallimard) sur le dernier jour de la guerre 14-18 au moment où un soldat nommé Trébuchon va devenir un des 2300 morts de la dernière journée du conflit planétaire.
De ce héros – ou victime – est issue l'idée du fantôme qui habite ce livre. Au delà de la Première Guerre Mondiale le roman questionne diverses zones de catastrophe à travers lesquelles l'auteur vit plusieurs guerres par procuration : entre autre celle engagée par l'étatisme fasciste nippon de la période coloniale dans les années 1930.

Par cette fiction Akira Mizubayashi rappelle que son pays ne s'est pas débarrassé d'un nationalisme exacerbé. La démocratie depuis l'après guerre ne fait que le masquer.
Il existe dans cette histoire bien des fantômes du passé. Pour les faire vivre l'auteur a écrit directement en français afin de se décoller de la réalité de son propre pays. La langue tierce (que l'auteur enseigne au Japon) lui permet de recréer des relations sociales et l'égalité des sujets dans une fusion de la littérature et de la musique.

Le héros quittant l'empire du Soleil Levant et changeant de nom, trouve dans la musique européenne un éveil philosophique. Sont de la partie Bach et Schubert - surtout. Ce dernier avec un de ses quatuors à corde que le héros, avec trois chinois, interprète. Cela lui permet de renoncer à tout instint de domination et de se mettre à l'écoute des autres dans la recherche de l'harmonie.
Existe implicitement une révolte contre divers types d'exclusion là où Akira Mizubayashi invente un subtil travail de mélancolie qui renvoie d'une époque à la nôtre, du monde extrême oriental à l'occident. Rei le héros y incarne la question des blessures, du souvenir, du déracinement et du deuil impossible. En ce sens le livre nous rappelle que certains fantômes trainent toujours un peu.
 

Jean-Paul Gavard-Perret


Akira Mizubayashi, Âme brisée, Gallimard, août 2020  256 p.-, 19 €
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